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connu sous le nom de licencer of plays. Cette espèce de censure constitue une anomalie dans un pays où la presse jouit d’une liberté absolue. Je dois pourtant dire que le licencer est un magistrat indépendant du ministère, et que ses pouvoirs auraient sans doute cessé depuis longtemps, s’il ne les exerçait avec une extrême discrétion. Dans la plupart des changemens imposés aux manuscrits dramatiques, il se borne à protéger le caractère des personnes et souvent celui des acteurs eux-mêmes en effaçant les noms propres ou les allusions trop directes. À côté des théâtres proprement dits se sont élevées depuis quelques années des salles de concerts et de divertissemens qui ne relèvent point de l’autorité du lord Chamberlain. Ces dernières font aux salles de spectacle régulières (licenced) une concurrence alarmante : on y joue de petites pièces ou tout au moins des scènes qui attirent tous les soirs une grande affluence de curieux. Beaucoup d’Anglais préfèrent ces endroits-là, parce qu’ils y jouissent de plus de liberté qu’au théâtre ; ils y fument leur cigare et y boivent leur verre de bière. Les théâtres de Londres viennent même de lancer contre les représentations dramatiques dans les music halls une action judiciaire dont il est difficile de prévoir les conséquences. Tout porte cependant à croire que, sans nuire à la prospérité des nouveaux établissemens, les tribunaux leur interdiront d’envahir le domaine de la scène.

Telle est la constitution des diverses salles de plaisir dans leurs rapports avec l’état ; mais c’est surtout le monde des théâtres qu’on désire connaître. Le drame ne pouvait nous apprendre que peu de chose sur les mœurs anglaises[1]. En sera-t-il de même de la pantomime et de la comédie ? Dans des genres moins importans, nous découvrirons peut-être une trace plus profonde du caractère national. Le rire, cette faculté qui, selon certains physiologistes, sépare l’homme des animaux, distingue aussi entre elles les races humaines.


I

Un écrivain français qui avait passé quelques jours à Londres, et qui était allé un soir au spectacle, me parlait, l’année dernière, avec étonnement du caractère puéril de la scène anglaise. On était alors au temps de Noël, et il ignorait en sa qualité de voyageur que dans toute la Grande-Bretagne cette époque de l’année appartient aux enfans. Ils règnent pendant six semaines en véritables petits despotes, non-seulement sur le foyer domestique, mais aussi sur les divertissemens publics. On peut trouver à cela deux raisons, d’abord les vacances d’hiver, qui coïncident avec les fêtes de Noël, et aussi une

  1. Voyez la livraison du 15 avril dernier.