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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/860

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mais n’en est-il pas de même pour toutes les carrières libérales, où il n’y a que les talens exceptionnels qui se mêlent à l’aristocratie ? D’un autre côté, un membre du parlement anglais qui était dans de mauvaises affaires donna sa démission, et ne craignit point, il y a trois ans, de monter comme acteur sur les planches de plus d’un théâtre pour payer ses dettes.

Le changement des mœurs anglaises sera encore plus remarquable, si nous regardons à la vie des actrices. Autrefois le mariage leur était à peu près interdit. Une des premières femmes qui aient paru après la restauration sur la scène anglaise fut séduite par Aubery de Vere, le dernier duc d’Oxford, qui lui avait fait croire à un mariage secret. Elle ne tarda point à découvrir que ce mariage était faux, que le prêtre était un personnage déguisé et les témoins des domestiques au service du lord. En vain cette Roxane trompée (c’est le rôle qu’elle jouait dans le Siège de Rhodes, par Davenant) demanda-t-elle protection à la loi anglaise, en vain alla-t-elle même se jeter aux genoux du roi pour réclamer justice : le mariage d’un noble avec une actrice était alors si contraire aux idées reçues, qu’elle n’obtint aucune réparation. J’ajouterai même à regret que le séducteur mourut comblé d’honneurs et fut enterré dans l’abbaye de Westminster. Plus tard une autre actrice, miss Oldfield, malgré sa beauté, sa sagesse et ses talens, ne réussit point à se faire épouser des deux seuls hommes à qui elle s’était successivement attachée durant sa vie. L’un était Maynwaring, célèbre écrivain whig, à qui fut dédié un des volumes du Spectateur, l’autre était le général Churchill. Sa position équivoque avait d’ailleurs quelque chose de si intéressant, miss Oldfield observait si bien les devoirs du mariage sans être mariée, qu’elle était reçue dans la meilleure société, et même à la cour. Un des premiers nobles de la Grande-Bretagne qui ait eu le courage de rompre en visière avec le préjugé fut lord Peterborough ; il épousa en 1735 une fille de théâtre, Anastasia Robinson. Dès lors les mariages des hommes du monde avec les actrices devinrent plus fréquens, quoique rencontrant toujours une assez grande opposition dans les mœurs anglaises. Le père du célèbre George Canning, ayant pris pour femme miss Castello, qui jouait sur la scène, se brouilla pour toujours avec sa famille. George Canning n’en témoigna pas moins durant toute sa vie un grand respect pour sa mère, à laquelle il écrivait tous les dimanches, — le seul jour qu’il eût de libre. Dans ces dernières années au contraire, un assez grand nombre d’actrices dont nous pourrions citer les noms ont été élevées par mariage aux rangs supérieurs de la noblesse. Les journaux anglais annonçaient dernièrement la mort de la comtesse douairière de Craven, dans laquelle les amateurs de la scène ne manquèrent point de reconnaître miss Branton, qui appartenait