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se rendent à Louisville : c’était alors un jour de grande recette, car il y avait à bord un millier de passagers qui ne demandaient pas mieux que d’assister à la représentation pendant que le bateau chargeait du charbon de terre. Le corps dramatique se composait de la famille de Chapman, qui croissait et multipliait en dépit des alligators et de la fièvre jaune. Quand le théâtre, descendant toujours le Mississipi, atteignait la Nouvelle-Orléans, il n’était plus bon qu’à être démoli et vendu comme bois de chauffage, car il eût coûté trop cher de lui faire remonter le cours du fleuve. Le manager retournait alors par un steamer dans l’intérieur des terres, où il construisait un nouvel édifice flottant. Je ne crois pas que Chapman lui-même vive encore ; mais un Anglais, revenu dernièrement d’Amérique, m’assure avoir rencontré la famille de l’acteur, qui continue la même industrie.

La profession théâtrale est plus abandonnée en Angleterre que partout ailleurs au libre arbitre et à l’initiative personnelle. Il n’y a point de conservatoire ni aucune institution du même genre. Quiconque veut embrasser la carrière du théâtre doit suivre les leçons particulières que donnent à Londres d’anciens acteurs ou d’anciennes actrices, plus ou moins retirés de la scène. Pour s’assurer des élèves, miss Charming, ou toute autre, fait même annoncer dans les journaux qu’elle se propose d’ouvrir un théâtre dans les provinces pour la saison prochaine, et qu’elle engagera de préférence dans sa troupe ceux de ses pupilles qui auront montré le plus de dispositions. Après avoir reçu ce premier enseignement, les jeunes aspirans à la profession d’acteur se mêlent le plus souvent à des clubs dramatiques où ils jouent les chefs-d’œuvre du théâtre anglais. La grande affaire est alors de conclure un engagement. Il leur faut pour cela lire assidûment l’Era, qui est le moniteur des théâtres. Ils y trouveront des renseignemens sur tout ce qui peut intéresser le monde dramatique et des annonces comme celle-ci : « On demande un brigand. — Une lady sentimentale désire conclure un engagement ; ses conditions sont modérées. » Là se rencontre aussi l’adresse des agens de placemens dramatiques, lesquels se chargent d’écrire pour environ une demi-guinée le nom de l’aspirant sur leur livre et de lui procurer moyennant un bénéfice de 10 pour 100 les costumés et autres accessoires, props, dont il a besoin pour paraître avec honneur sur la scène. Les semaines, les mois se passent ; le candidat a du moins ses entrées dans le bureau de l’agent, et il en profite pour lui rendre de fréquentes visites. Enfin l’engagement arrive quelquefois. C’est naturellement dans un théâtre de province que le débutant commence sa carrière. Là il ne tarde pas à reconnaître qu’il y a beaucoup de clinquant et de fausses couleurs derrière la toile, non-seulement sur la robe et la joue des actrices, mais aussi sur toutes les