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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/876

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ou quand, par hasard, une œuvre d’élite vient à résider en pareil lieu, qu’y a-t-il dans ce choix, sinon une opposition implicite aux anciens usages et le dédain pour un autre séjour ?

Le Salon n’est donc plus un champ de lutte privilégié, une arène où ceux qui ont vaincu déjà viennent chercher de nouveaux applaudissemens : c’est un gymnase où s’exercent sans grand danger de chute les talens moyens, et trop souvent les talens inexpérimentés ou invalides. Qui sait même ? pour beaucoup d’entre nous, ce n’est peut-être qu’un champ de foire où, le sort aidant, on peut acquérir à bas prix telles denrées pittoresques qu’on revendra plus tard dans de meilleures conditions. On n’ignore pas que, cette année comme il y a deux ans, une loterie a été organisée pour faciliter aux artistes le placement de leurs ouvrages, et qu’une commission a même accepté la tâche de choisir parmi les objets exposés ceux qui mériteront d’être offerts comme lots aux souscripteurs. Il faut honorer en ceci la générosité des intentions et le zèle de ceux qui se sont dévoués à l’entreprise ; mais, en s’efforçant de servir la cause des beaux-arts, ne court-on pas le risque de favoriser aussi les progrès de l’esprit mercantile ? N’est-il pas à craindre que le résultat ne trompe en ce sens la pensée qui a dicté la mesure, et que les artistes eux-mêmes, au lieu de voir dans ce nouveau mode de récompense une exhortation aux efforts difficiles, n’y trouvent surtout une occasion d’écouler des produits appropriés aux goûts, aux exigences peu éclairées de la foule ?

Nous n’avons point à insister ici sur ces réflexions qu’éveille impérieusement le premier aspect du Salon de 1861 : il nous aura suffi de les indiquer. Ce n’est pas à dire assurément qu’il faille supprimer absolument le Salon comme ayant perdu sa raison d’être. À Dieu ne plaise qu’on interprète en ce sens des paroles tendant au contraire à la défense de cette institution nationale et au respect des principes qui peuvent la vivifier de nouveau ! Par quel moyen toutefois ressusciter le passé, contraindre les maîtres à reparaître au Salon, prohiber les expositions rivales ou tout au moins les soumettre à un contrôle qui sauvegarde des intérêts supérieurs et assure une importance exceptionnelle à l’exposition ouverte par l’état ? On peut déjà, sans s’aventurer beaucoup, proposer comme mesures urgentes la suppression absolue de la loterie et l’obligation pour les artistes de n’exposer chacun que deux ou trois morceaux. En outre il ne nous semble pas impossible de séduire et de ramener les talens qui ont déserté le Salon par la certitude d’un voisinage plus digne d’eux, par certaines garanties données à de justes exigences. On a fort souvent reproché au jury d’admission ses rigueurs : on serait mieux autorisé peut-être à accuser son indulgence et à lui demander