Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/940

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Celle-ci tenait ses yeux baissés. Elle roulait et déroulait une chaîne d’or autour de son poignet, comme perdue en une sorte de rêverie.

Miss Darley se pencha du côté de Bernard, et, plaçant sa main de manière à masquer le mouvement de ses lèvres : — Ne laissez pas voir que vous parlez d’elle, murmura-t-elle à voix basse… C’est Elsie Venner !

Le soir de cette même journée, Helen Darley, avant de s’étendre sur la couche dure où elle allait oublier les mille soucis dont se composait sa triste existence, dut corriger une vingtaine d’amplifications, toutes plus ou moins incorrectes, toutes plus ou moins insipides. Elle les savait par cœur avant de les avoir seulement entrevues, car c’étaient toujours les mêmes lieux-communs, rehaussés des mêmes métaphores emphatiques, sur les ravages que le temps fait subir à la beauté, — l’inconstance de la fortune et l’incertitude de la vie humaine, — la vertu trouvant sa récompense en elle-même, etc. Miss Darley étudiait avec un soin religieux ces bouquets de niaiseries, pour y découvrir çà et là une période boiteuse, une expression incorrecte, s’étonnant parfois d’y rencontrer, — trop rarement, hélas ! — un sentiment juste, une expression colorée, un mot du cœur. Tout à coup, et alors que ses paupières se fermaient malgré elle, une écriture qu’elle connaissait bien lui apparut et la réveilla. Elle hésita un instant avant de prendre le papier ondé sur lequel étaient tracés ces caractères allongés et minces dont chacun offrait l’aspect d’une pointe de flèche. Elle le saisit enfin par un des coins, et du bout des doigts, pour le mettre à part. Ces personnes nerveuses ont parfois de singuliers caprices.

Le sujet de la composition était précisément « la Montagne. » Ce lieu désert y était décrit en grand détail, et avec une singulière connaissance de ses aspects variés. On eût dit que l’écrivain l’avait visité à toutes les heures du jour et de la nuit, tant il y avait de précision et de curieuses nuances dans ses descriptions. À mesure que miss Darley, de plus en plus surprise, s’enfonçait dans sa lecture, elle éprouvait un indicible sentiment de terreur et d’angoisse. Et pourtant elle n’aurait pu discontinuer : non que cette composition fût remarquable au point de vue purement littéraire, mais il s’en exhalait un parfum sauvage qui peu à peu l’enivrait et lui arrachait soit un sanglot, soit un rire convulsif. Enfin, prise d’une sorte de spasme hystérique, elle se jeta sur son lit, et, après avoir lu quelques pages de Coleridge pour rompre cette espèce d’enchantement, elle finit par trouver le sommeil qui la fuyait ; mais au sein de ce repos si désiré, des rêves affreux la poursuivirent encore.

Le lendemain matin, Bernard Langdon la trouva fort pâle.