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derrière lui, regardait fixement les yeux du reptile, ces yeux dont les siens dominaient la puissance fascinatrice.


IV

L’aventure de « la Montagne » devait être, pour un médecin en herbe plus que pour tout autre, une source féconde en réflexions. Aussi Bernard, si reconnaissant qu’il pût être, était encore plus intéressé. Elsie Venner, cette belle créature, avait pris pour lui les proportions d’un prodige à constater, d’un problème à résoudre. Il était bien décidé, coûte que coûte, à percer le mystère de cette bizarre idiosyncrasie. La théorie du docteur Braid sur l’hypnotisme venait justement de paraître à l’horizon, et les découvertes du médecin de Manchester troublaient le sommeil de notre étudiant. En essayant d’approfondir cette doctrine nouvelle qui tend à établir, — comme chacun sait, — que la tension prolongée du regard fixé sur un point brillant finit par amener la torpeur, Bernard s’efforçait d’expliquer le singulier état nerveux dans lequel il se trouvait à ce moment de sa vie. C’était une surexcitation dont il avait lieu de s’étonner. Les moindres bruits étendaient sur son tympan, comme sur le métal du gong, des ondes sonores aux vibrations infinies. En regardant Elsie, il éprouvait parfois à la racine des cheveux une étrange horripilation. Sous son crâne, il ressentait aussi de temps en temps, à la suite de quelque soubresaut causé par un grincement d’armoire ou par une porte heurtée à l’improviste, quelque chose comme la détente brusque d’une arme à feu. Il multipliait à ce sujet les raisonnemens et les expériences. Pour celles-ci, un crotale vivant devenait indispensable. On dit à Bernard que certaines gens du pays faisaient volontiers le commerce de ces animaux. C’était une famille établie au pied de « la Montagne, » et dont les membres, à tort ou à raison, se croyaient à l’abri du terrible venin. Sans trop savoir s’il agissait prudemment, le jeune professeur alla faire prix avec eux, et en effet peu de jours après il vit entrer chez lui une espèce de bohémienne qui portait quelque chose dans son tablier : — Voici des sonneurs, lui dit-elle ; choisissez ceux qui vous conviennent… Et en effet elle déposa sur le parquet un faisceau de serpens enroulés les uns dans les autres. Ils levèrent la tête en voyant le jour, mais aucun ne donna le moindre signe de colère.

— Avez-vous perdu la raison, malheureuse ! s’écria Langdon ; vous mourriez dans une heure, si l’un d’eux venait à vous blesser.

Mais la femme n’avait pas conscience d’un tel danger. Elle reprit ses « sonneurs, » de la main abaissa leurs têtes redressées, et les replaça dans son tablier comme elle eût fait d’un paquet de cordes. Encore un fait à éclaircir. Bernard logea donc ses crotales dans une