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glais a terminé sa session. On ne parle plus publiquement de politique nulle part en Europe. Nous n’avons pas trop à regretter que les débats soient clos dans les chambres anglaises. Le ton à l’égard du gouvernement français y avait pris une croissante aigreur. L’on ne sait où se serait arrêtée cette âpreté de langage, si la session n’eût pris fin elle-même. Dans une des dernières séances des communes, lord Palmerston avait écarté avec affectation la suggestion un peu sentimentale de M. Disraeli touchant les armemens maritimes de la France et de l’Angleterre. A l’exemple de M. Cobden, M. Disraeli avait demandé si l’on ne pouvait arriver à une entente sur la limite et la proportion qu’il convenait de donner aux armemens maritimes des deux pays. « A quoi sert la diplomatie, s’était-il écrié mélancoliquement, si elle ne peut réussir à prévenir à l’amiable ce gaspillage de capitaux et ces mutuelles menaces par lesquelles les deux peuples s’irritent à l’envi l’un contre l’autre ? » Lord Palmerston a opposé son bon sens narquois à cette aspiration humanitaire; son argument a été identique à celui que nous avions présenté nous-mêmes. Des armemens limités par un arrangement réciproque obligeraient les deux contractans à se surveiller et à se contrôler mutuellement; cette surveillance et ce contrôle seraient une cause incessante de conflits entre les deux pays, et mieux vaut pour le maintien de leur bonne intelligence qu’ils conservent leur entière liberté d’action. On a remarqué le silence du discours de clôture sur la France, l’affectation que met le gouvernement anglais, comme pour établir une ligne de démarcation entre lui et nous, à bien constater qu’il s’est abstenu de toute intervention en Italie, la sécheresse presque dédaigneuse avec laquelle notre expédition de Syrie est qualifiée, nos soldats n’étant désignés que sous le nom de troupes européennes, leur action n’étant définie que comme une coopération donnée aux troupes et aux autorités turques. Nous le répétons, il était temps que cette session eût un terme : nous n’avions point à nous féliciter de la tournure qu’elle prenait à notre égard. Le mouvement qui s’y est accompli au sein des partis a été caractéristique. L’école de Manchester, qui était à l’origine en liaison étroite avec le cabinet, a été peu à peu repoussée par lord Palmerston, et a beaucoup perdu en influence et en importance aussi bien auprès du public qu’au sein du parlement. Les flatteries trop maladroites de M. Bright et de ses amis pour la démocratie américaine, qui joue maintenant un si triste rôle, et pour la démocratie militaire et centralisatrice qui règne en France, ont ruiné l’autorité du chef de l’école de Manchester auprès de ses compatriotes. La session laisse deux ministres meurtris et chancelans, et ce sont justement les amis de M. Bright : M. Milner Gibson et M. Gladstone. Les imprudences de M. Bright ont surtout contribué à augmenter les forces du parti tory. Ce parti serait à coup sûr arrivé au pouvoir dès cette année, si plusieurs de ses membres, dociles en cela au sentiment public, ne préféraient au succès personnel de leur parti le maintien de lord Palmerston à la tête du gouver-