Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/1024

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telligentes et fières qui partent pour la guerre, combien en est-il où la vie s’éteindra à l’improviste dans le leu d’un combat! L’homme tombe et disparaît, sa blessure va plonger dans le deuil une famille, et les événemens suivent leur cours. Ce petit livre n’a point l’ambition de raconter encore une fois la guerre d’Italie à propos d’un des humbles et obscurs acteurs de cette lutte; il n’a la prétention ni d’être une œuvre littéraire hors ligne, ni d’exagérer la figure à laquelle il sert pour ainsi dire de cadre : c’est tout simplement un souvenir consacré à un jeune homme qui avait du feu, de l’esprit, de l’imagination, de la bonne grâce, qui aurait pu se dispenser d’aller au combat, et qui, au premier bruit de la guerre d’Italie, ne craignit pas de quitter les plaisirs de la jeunesse, les faciles attraits de la vie de Paris, pour revêtir la casaque du soldat dans un régiment de la légion étrangère. Miecislas Kamienski, son nom le dit assez, était de cette héroïque race polonaise toujours prête à se jeter dans la mêlée, espérant retrouver partout une patrie. Son père, le colonel Kamienski, soldat de 1831, émigré depuis, commandait la légion polonaise en Italie pendant la guerre de l’indépendance de 1848, et il fut gravement blessé dans un combat contre les Autrichiens. Le fils, Miecislas, ne faisait que suivre ces traces en s’engageant comme volontaire au premier coup de trompette qui entraînait nos bataillons en Italie. Ce n’était pas un jeune homme vulgaire; il avait l’esprit ouvert à tout, aux arts, à la poésie, à la littérature ; il écrivait et non sans grâce. Il avait voyagé beaucoup et avait essayé de tout, même de la vie de novice de la marine pour revenir à la vie mondaine de Paris; c’était en un mot une nature ardente, enthousiaste, ayant le tourment de l’exil et sentant vivement ce qu’il y a de pénible dans la condition de l’émigré. La guerre de 1859 semblait lui ouvrir une nouvelle carrière où il se jetait avec intrépidité, passant gaiement de la vie dispersée et inquiète à la vie active. Il partait plein d’espoir, il fut arrêté tout à coup, au premier pas, à Magenta, par une balle qui lui fracassa le bras. La blessure n’eût été rien peut-être; elle s’aggrava par une série de contre-temps. Le jeune blessé vécut assez cependant pour recevoir la croix de la Légion d’honneur comme prix de sa bravoure ; il vécut assez surtout pour supporter d’horribles souffrances, se voyant mourir jour par jour en quelque sorte à l’âge où tout sourit, même la guerre. C’est cette longue et cruelle agonie d’un fils que M. le colonel Kamienski raconte lui-même avec une émotion communicative, de façon à laisser voir combien de drames poignans et obscurs se mêlent aux grands drames de la guerre, de manière aussi à montrer que, dans cette veine polonaise qu’on a crue si souvent tarie, il y a toujours du sang prêt à couler pour les causes généreuses.


CH. DE MAZADE.


V. DE MARS.