Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/110

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plus aussi par conséquent il leur est difficile de sympathiser entre eux : celui qui n’est pas votre égal n’est pas votre semblable. De là plusieurs couches superposées les unes aux autres dans une même société, de là l’indifférence et le dédain des classes supérieures pour les classes inférieures. Avec l’égalité, les manières perdent, il est vrai, de leur politesse ; la délicatesse, la distinction s’efface : en revanche les hommes se connaissent mieux, puisqu’ils sont sans cesse mêlés les uns aux autres. Si les classes les plus élevées perdent quelque chose de leur élégance, les plus basses perdent de leur grossièreté ; un esprit de cordialité et de familiarité, plus vulgaire, mais plus humain, remplace la politesse des anciens temps ; les mœurs deviennent plus douces et plus fraternelles. La sympathie pour les misères humaines et pour tout ce qui touche l’humanité, la curiosité et la compassion pour les races lointaines, opprimées, persécutées, l’horreur pour tout ce qui fait souffrir inutilement les hommes, le scrupule dans le choix et la mesure des peines, tels sont les traits les plus nobles et les plus relevés des sociétés démocratiques. Dans l’intérieur de la famille, la douceur et la confiance de l’affection remplacent la froide et respectueuse obéissance : moins d’autorité et plus d’amitié. « La douceur des mœurs démocratiques est si grande que les partisans de l’aristocratie eux-mêmes s’y laissent prendre, et que, après l’avoir goûtée quelque temps, ils ne sont point tentés de retourner aux formes respectueuses et froides de la famille aristocratique. Ils conserveraient volontiers les mœurs domestiques de la démocratie, pourvu qu’ils pussent rejeter son état social et ses lois ; mais ces choses se tiennent, et l’on ne peut jouir des unes sans souffrir les autres. »

Un autre effet de la démocratie, c’est de répandre dans le corps social une grande activité, un mouvement extrême. C’est là un des caractères les plus frappans des mœurs américaines. Peut-être ce caractère tient-il au génie de la race plus encore qu’aux institutions ; cependant on ne peut nier qu’en Europe les révolutions démocratiques (car elles l’ont été toutes plus ou moins) n’aient provoqué également un grand esprit d’entreprise et une extrême activité en tout genre. Si l’on demande à quoi cette activité est bonne, on peut répondre d’abord qu’elle est bonne à répandre dans la société plus de bien-être, plus d’instruction, plus de jouissances de toute espèce ; mais on peut dire surtout que l’activité est bonne par elle-même, parce qu’agir, c’est vivre. Or l’activité politique, quand elle ne se change pas en fièvre désordonnée, détermine et développe tous les autres modes d’activité, le commerce, l’industrie, l’agriculture, la science, au moins dans ses applications. À la vérité, cet effet est dû surtout à la liberté politique, qui peut se rencontrer dans des sociétés non démocratiques ; mais si l’on y regarde de près, on verra que