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sinologues qui ont fait de ces associations l’objet de leurs consciencieuses recherches. La seconde opinion voit dans ces événemens une révolution religieuse, accidentellement politique, s’accomplissant au nom de doctrines puisées dans les livres et les enseignemens des missionnaires protestans. Suivant la troisième enfin, l’insurrection aurait été originairement un soulèvement des Miao-tsé, montagnards du Kouang-si, qui ont relevé l’étendard des Ming[1] et qui combattraient au nom d’idées et de principes émanant d’une source catholique. Il suffit d’énoncer ces deux derniers systèmes pour en faire connaître les auteurs : ils sont absolus et exclusifs comme l’esprit de propagande qui les a mis au jour.

Les sociétés secrètes ont joué dans l’histoire de l’empire chinois, pendant les deux derniers siècles, un rôle dont on ne saurait nier l’importance. Objets de la jalouse surveillance du gouvernement tartare, qui voyait en elles un danger permanent pour son autorité, elles ont eu la fortune de presque tous les persécutés : elles ont puisé de nouvelles forces dans la persécution. Nées de l’éloignement même où les fonctionnaires de la nouvelle dynastie cherchaient à tenir leurs administrés de toute préoccupation politique, et des entraves systématiques qu’ils apportaient à toute réunion populaire où les actes du gouvernement auraient pu être discutés, elles sont devenues d’autant plus puissantes que l’on a sévi contre elles avec plus de rigueur. Ce n’est pas cependant que ces sociétés fussent toutes des associations politiques. Les unes avaient des vues fort innocentes ; d’autres ne se proposaient qu’un but : assurer l’impunité des forfaits commis par leurs membres à la faveur de l’appui qu’ils se prêtaient mutuellement. Celles-là d’ailleurs n’ont acquis aucune célébrité ; l’indifférence populaire et administrative ou la juste sévérité des lois en a fait bientôt justice. Il n’en a pas été de même des sociétés qui ont conspiré, et entre autres de celles du Nénuphar blanc et de la Triade, dont l’une a failli expulser les Mandchoux, et dont l’autre placera peut-être, avant peu de temps, un empereur chinois sur leur trône.

La société du Nénuphar blanc (Pi-lin-kiaou) a probablement pris naissance peu après l’époque de la conquête, et se trouve ainsi contemporaine de la dynastie mandchoue. Nous trouvons en effet dans le code pénal de cette dynastie, à la section des « magiciens, chefs de sectes et propagateurs de fausses doctrines, » son nom cité à côté de ceux des sectes du Nuage blanc, de l’Intelligent et del’Honorable, etc., contre lesquelles sont portées des peines d’une extrême rigueur[2]. En 1734, elle attira de nouveau l’attention

  1. C’est le nom de la dynastie chinoise qui a précédé sur le trône les empereurs mandchoux. La « dynastie ming », c’est la « dynastie brillante. »
  2. Les chefs sont passibles de la décapitation, les simples membres de la strangulation.