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célèbres, un grand magistrat et un fougueux tribun, firent entendre la même protestation, et c’est à eux qu’on doit la véritable définition de ce droit. L’ordonnance de Villers-Cotterets de 1539, œuvre du chancelier Poyet, privait les accusés du droit de se faire défendre par un avocat, et avait introduit la procédure secrète dans nos lois criminelles ; mais le principe de la défense avait été plus fort que les textes, et les juges, plus humains que la loi, avaient permis à l’accusé de communiquer avec un avocat. Lorsqu’en 1670 fut révisée en France la procédure criminelle, le président de Lamoignon s’éleva contre le huis clos de la procédure et plaida chaleureusement la cause des accusés. « Ce conseil, dit-il, qu’on a accoutumé de donner aux accusés n’est point un privilège accordé par les ordonnances ni par les lois, c’est une liberté acquise par le droit naturel, qui est plus ancien que toutes les lois humaines. » La protestation, hélas ! fut impuissante, et l’ordonnance de 1670, complétant l’œuvre inique du chancelier Poyet, priva l’accusé du secours de la défense, même dans les causes capitales. De ce débat n’était pas moins sorti un mot puissant, une grande vérité qu’en 1790 l’assemblée constituante devait relever dans ce magnifique langage : « A qui appartient le droit de défendre les citoyens ? Aux citoyens eux-mêmes, ou à ceux en qui ils ont mis leur confiance. Ce droit est fondé sur les premiers principes de la raison et de la justice ; il n’est autre chose que le droit essentiel et imprescriptible de la défense naturelle. S’il ne m’est pas permis de défendre mon honneur, ma vie, ma liberté, ma fortune par moi-même quand je le veux et quand je le puis, et, dans le cas où je n’en ai pas les moyens, par l’organe de celui que je regarde comme le plus éclairé, le plus vertueux, le plus humain, le plus attaché à mes intérêts, alors vous violez à la fois et cette loi sacrée de la nature et de la justice et toutes les notions de l’ordre social. » Qui donc parlait ainsi ? qui donc démontrait si bien la nature et l’imprescriptibilité du droit de la défense ? L’orateur qui s’exprimait en ces termes était Maximilien Robespierre. Tant pis pour Merlin, tant pis pour Tronchet, Demeuniers, Thouret, et tant d’autres qui étaient là et qui, pouvant dire ces choses, proclamer ces vérités avec plus d’autorité sans doute, ne l’ont point fait ; tant pis même pour d’Aguesseau, qui, dans sa splendide apologie du barreau, n’a point eu ce trait de lumière et n’a pas aperçu la solide base qu’on devait donner à cette institution.

Le droit de la défense est donc un droit naturel et dès lors imprescriptible, et ce droit, c’est le barreau qui en est le dépositaire et le gardien. Voilà ce qu’il importait de constater. Et qu’on ne dise pas que cela n’est écrit dans aucune loi, dans aucune constitution ;