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amena bientôt à Athènes des sophistes et des rhéteurs, espèce de barreau muet qui composa des plaidoyers pour le peuple. Ce barreau cachait son intervention, et empruntait autant que possible le langage du plaideur. Vaine supercherie : le plaideur ne sut même pas débiter ce qu’on avait écrit pour lui, et du temps d’Aristophane cette coutume était déjà en plein discrédit. Le satirique des Guêpes put s’en moquer et traduire sur la scène ce pauvre artisan qui jour et nuit répète le plaidoyer du rhéteur qu’il doit improviser devant ses juges. Les rhéteurs devinrent donc des avocats, et comment refuser ce titre à Eschine et à Démosthènes ? Ils ont certainement plaidé pour autrui, on le voit par quelques-uns de leurs discours ; mais nous sommes loin d’avoir tous les plaidoyers qu’ils ont pu faire. D’ailleurs à Rome, qui a si souvent copié Athènes, on aperçoit de bonne heure un véritable barreau, et il est permis de supposer que c’est à la Grèce qu’avait été empruntée l’institution telle que la tradition, à défaut de lois, l’avait transmise.

Dans les états modernes, que voyons-nous ? Un barreau là seulement où la liberté existe. Et que de nuances se révèlent ici d’un état à l’autre ! Les Turcs, avons-nous dit, n’ont point d’avocats ; en eurent-ils jamais ? Non, car le mot n’est même pas dans leur langue. Lorsque, vers la fin du XVIIe siècle, le chevalier Chardin fit un voyage en Perse, il fut assez surpris de la manière dont s’y rendait la justice civile. La procédure, il est vrai, était des plus simples : celui qui voulait intenter un procès présentait requête au juge ; un des valets de celui-ci, muni de son autorisation, faisait office de sergent et allait chercher la partie adverse. S’agissait-il de gens de condition, le juge les faisait asseoir près de lui ; les gens du peuple restaient debout. Chacun plaidait sa cause sans conseil et sans avocat, ce qui se faisait d’ordinaire avec un tel bruit que le juge, étourdi, prenait sa tête dans ses mains et criait de toutes ses forces aux plaideurs : gaugaumicouri (vous mâchez de l’ordure). « Quand ce sont des gens tout à fait de néant qu’on ne saurait faire taire, ajoute le chevalier Chardin, le juge ordonne qu’on les frappe, ce que fait sur-le-champ le valet qui a assigné les parties, lequel leur donne à chacun un coup de poing sur le chignon du cou et sur le dos. » Cet état de choses n’a pas changé ; il n’existe point encore d’avocats en Perse ; les derniers historiens de ce pays assurent que la police des audiences y est toujours maintenue par la force du bâton, et que si les frais de procès sont peu considérables, en revanche les plaideurs dépensent beaucoup d’argent pour acheter les juges.

En Autriche, le formalisme a placé l’œuvre de la justice dans les conditions d’un véritable mouvement de peloton : la théorie des preuves devant les tribunaux a quelque chose d’algébrique. Pour