Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/143

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constituer une preuve complète, on énumère vingt conditions différentes ; au-dessous de ce point culminant de la vérité judiciaire se trouve placée une série de demi-preuves, de deuxièmes demi-preuves, dont le mécanisme paraît assez compliqué. « Cinq combinaisons de moyens de preuves, dit le professeur Beidtel, constituent une première demi-preuve ; pour faire une deuxième demi-preuve, il n’y a que le serment supplétif, un témoin douteux ou un témoin reprochable. Au-dessous d’une demi-preuve, il y a les présomptions, qui ne sont pas fondées dans la loi. » C’est là un grand obstacle pour la libre défense, et, il faut te dire, pour la recherche de la vérité ; le formalisme enserre la justice et ne lui permet aucun mouvement spontané. En outre la procédure est secrète dans les affaires civiles ; au criminel, la publicité des débats est admise depuis quelques années, mais d’une manière fort restreinte, et seulement, comme on dit, pour les gens comme il faut, ce qui signifie qu’elle est abandonnée au pouvoir discrétionnaire du juge. Quant aux avocats, ce sont de véritables fonctionnaires, en nombre limité, commissionnés et patentés par le gouvernement.

La même situation est faite au barreau dans la Bavière et dans toute l’Allemagne. La profession d’avocat est ici plus ou moins doublée de celle de l’avoué, du notaire, de l’huissier ou de l’agent d’affaires, suivant les localités. En Bavière et dans le Wurtemberg, l’avocat postule et plaide ; il s’occupe des affiches de ventes forcées, dresse des protêts de lettres de change, etc. En Saxe, il a, comme le notaire, le privilège de certains protocoles, et pour ses émolumens il est soumis à la taxe. Dans tous ces pays, l’institution du barreau est détournée de sa mission. Et que peut-on attendre d’une institution ainsi dénaturée ? Il faut le demander à un respectable magistrat, M. Zink, président de chambre à la cour suprême du royaume de Bavière. Dans l’ouvrage qu’il vient de publier sur la justice et les avocats en Bavière et en Allemagne, il nous fait cette triste révélation : « A peine descendus (les avocats) dans l’arène judiciaire, tous les bons sentimens, dit-il, s’évanouissent ; l’amour de la vérité, la conscience, la raison, la franchise, la bonne foi, tout disparaît. Ils se tiennent absolument pour dégagés, en exerçant leur profession d’avocat, de toute honnêteté dans la procédure, et c’est sans la plus légère émotion, sans le moindre scrupule, qu’ils mentent, trouvant pour excuse les vieux Ils et coutumes. » Faut-il s’en prendre aux hommes ? Oui sans doute, mais beaucoup moins aux hommes encore qu’aux institutions du pays, qui ont dégradé à ce point le barreau après l’avoir asservi.

La Prusse est-elle dans de meilleures conditions ? En 1847, des lois ont amélioré l’organisation judiciaire, et le barreau, rayé du