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L’INSURRECTION CHINOISE.

jour, les armes à la main, à travers les soldats et parvinrent à se sauver près de Tchang-cha-fou, dans le Hou-kouang[1]. Là treize d’entre eux périrent de froid et de faim. Les cinq qui restaient, Tsaï, Fang, Ma, Hu et Li, furent recueillis dans une barque par deux pieux bateliers, Sié et Vou. Ils restèrent quelque temps avec eux, mais, traqués de tous côtés par les soldats, ils furent obligés de se réfugier au monastère de Ling-ouang. Quelques jours après, comme ils se promenaient au bord d’une petite rivière qui arrose le jardin du monastère, ils aperçurent sur le sable, à demi baigné par les eaux, un vase d’argent en forme de tripode. Sur le couvercle, que surmontait une large pierre précieuse, étaient gravés ces mots : « Renversez les Tsing, relevez les Ming. » Ils avaient à peine fait cette mystérieuse découverte que l’apparition d’une troupe de cavaliers les contraignit de s’enfuir sur une montagne voisine, où un nouveau prodige vint frapper leurs yeux. La terre qui recouvrait une tombe fraîchement comblée s’agita doucement à leur approche ; bientôt ils en virent surgir lentement une épée dont la poignée offrit à leurs regards surpris les mêmes caractères que le tripode d’argent : « Renversez les Tsing, relevez les Ming. » En même temps deux femmes parurent, et, se saisissant de l’arme merveilleuse, elles fondirent sur les cavaliers qu’elles mirent en fuite. Ces femmes étaient les parentes d’un Chinois mis à mort pour avoir embrassé la cause des cinq prêtres, l’infortuné Kiounta ; le tombeau d’où l’épée vengeresse avait surgi était son tombeau.

De retour à Ling-ouang, les prêtres y trouvèrent cinq marchands chinois, Ou, Hong, Li, Taou et Lin, qui faisaient le commerce des chevaux. Ils leur firent part de leurs aventures et se les attachèrent. Un nouveau personnage ne tarda pas à venir grossir leur bande, Tchin-ki-nan, ancien membre du conseil de guerre et du collège de Han-lin[2], sorte d’ermite conspirateur qui vivait ordinairement retiré sur la montagne de la Cigogne-Blanche, et qui les encouragea dans leur projet. Quelques jours après, réunis sur le sommet de la colline de Loung-fou, où ils s’étaient réfugiés, ces hommes hardis jetèrent les premiers fondemens de leur association. Ils s’engagèrent par les plus redoutables sermens à renverser la dynastie des Tsing, à venger la mort de leurs frères de Chaou-lin, et consacrèrent leur nouvelle union par le plus terrible des rites : ils trempèrent successivement leurs lèvres à une coupe où ils avaient mêlé quelques gouttes de leur sang. Au même instant, ajoute la légende, un vio-

  1. Le Hou-kouang (les grands lacs) comprend les deux provinces centrales appelées Hou-nan (lacs du sud) et Hou-pé (lacs du nord), et renferme 46 millions d’habitans.
  2. Le collège de Han-lin ou académie impériale est chargé par le gouvernement de la rédaction des documens historiques. Les membres de cette institution jouissent de privilèges étendus.