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façon : elle se proposait au contraire de rendre plus libre le ministère de l’avocat. L’erreur apparaît avec évidence dans le projet, du comité de constitution sur l’organisation judiciaire présenté par Bergasse. « Toute partie, disait ce projet, aura le droit de plaider sa cause elle-même, si elle le juge convenable, et, afin que le ministère des avocats soit aussi libre qu’il doit l’être, les avocats cesseront de former une corporation ou un ordre, et tout citoyen ayant fait les études et subi les examens nécessaires pour exercer cette profession ne sera plus tenu de répondre de sa conduite qu’à la loi. » On a peu consulté ce projet, qui révèle la pensée primitive et réelle de l’assemblée constituante ; on s’est plutôt arrêté aux brèves dispositions du décret du 2 septembre 1790, qui enlève aux avocats leur costume, parce qu’ils ne doivent, dit-il, former ni ordre ni corporation, et de là on a conclu que l’assemblée avait résolument sacrifié le droit de la défense. Cela n’est pas : la liberté individuelle est une des choses dont elle était le plus préoccupée et qu’elle voulait garantir par tous les moyens possibles ; seulement l’assemblée constituante ne vit pas très clairement ce que nous voyons si bien aujourd’hui : au milieu des ruines qu’elle avait faites et où elle cherchait à trouver les élémens du nouvel édifice, le barreau ne lui apparut sans doute que comme une institution secondaire ayant eu les torts et devant porter les fautes des parlemens. Restreint aux affaires civiles sous l’ancienne société, le barreau n’avait pas eu un très grand retentissement ; on ne l’avait pas vu à l’œuvre dans les affaires criminelles, et, tout en constituant le jury, l’assemblée ne comprit pas l’importance du nouveau rôle qu’il devait remplir avec cette institution. Peut-être aussi se fit-elle une trop bonne opinion de cette émancipation du peuple qui était écrite dans ses lois, mais qui n’était pas encore passée dans la pratique. Un coup de baguette n’avait pas suffi pour transformer la vieille société en citoyens clairvoyans et instruits, capables de se défendre, de parler savamment de leurs intérêts et des affaires publiques : or c’est surtout au citoyen lui-même, nouvel Athénien de cette nouvelle Athènes, que la constituante remettait le soin de se défendre. On peut voir que les souvenirs de la Grèce étaient à chaque instant invoqués dans la discussion, mais on oubliait le plaideur d’Aristophane. Il arriva donc que le simple citoyen fut armé et cuirassé pour se défendre sans connaître l’usage des armes qu’on lui mettait aux mains. Le ministère de l’avocat n’était point interdit ; mais, en voulant le : rendre plus libre, l’assemblée lui enlevait une grande partie de sa force.

Une chose est restée incompréhensible dans les débats de l’assemblée constituante : c’est le silence de Thouret, de Merlin, Tronchet, Duport et Treilhard, tous avocats ou juristes, sur la constitution du