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barreau. Ne voyaient-ils pas que le barreau allait manquer à la justice, ou craignaient-ils qu’on ne les accusât, s’ils en parlaient, de plaider leur propre cause ? Chose non moins surprenante, un seul orateur paraît pénétré de l’importance du ministère de l’avocat, et cet orateur, c’est Robespierre, qui devait bientôt faire si bon marché et de la liberté individuelle et du droit de la défense ; il en parle avec un feu, avec un enthousiasme qui vont jusqu’à l’éloquence. S’agit-il de confier la défense à des individus commissionnés par les tribunaux et en nombre limité, il s’écrie aussitôt : « Cette fonction seule échappe à la fiscalité et au pouvoir absolu du monarque. La loi tint toujours cette carrière libre à tous les citoyens ; du moins n’exigea-t-elle d’eux que la condition de parcourir un cours d’études faciles, ouvert à tout le monde, tant le droit de la défense naturelle paraissait sacré dans ce temps-là ! Aussi, en déclarant sans aucune peine que cette profession même n’était pas exempte des abus qui désoleront toujours les peuples qui ne vivront point sous le régime de la liberté, suis-je du moins forcé de convenir que le barreau semblait montrer encore les dernières traces de la liberté exilée, du reste de la société ; c’était là que se trouvait encore le courage de la vérité, qui osait proclamer les droits du faible opprimé contre les crimes de l’oppresseur puissant. Le pouvoir exclusif de défendre les citoyens sera conféré par trois juges et par deux hommes de loi ! Alors vous ne verrez plus dans le sanctuaire de la justice de ces hommes sensibles, capables de se passionner pour la cause des malheureux, et par conséquent dignes de la défendre ; ces hommes intrépides et éloquens, appuis de l’innocence et fléaux du crime, la faiblesse, la médiocrité, l’injustice et la prévarication les redouteront. Ils seront repoussés, mais vous verrez accueillir des gens de loi sans délicatesse, sans enthousiasme pour leurs devoirs, et poussés seulement dans une noble carrière par un vil intérêt. Vous dénaturez, vous dégradez des fonctions précieuses à l’humanité, essentielles au progrès de l’esprit public ; vous fermez cette école de vertus civiques où les talens et le mérite apprendraient, en plaidant la cause du citoyen devant le juge, à défendre un jour celle du peuple parmi les législateurs. » Ces paroles étaient prophétiques. Des procureurs furent autorisés à plaider devant les tribunaux, et si les parties restèrent libres de choisir des défenseurs officieux, c’est le nom que prirent les avocats, le ministère de la défense perdit bientôt tout prestige et toute autorité dans un concours où il ne pouvait s’exercer avec convenance. Vainement les avocats ont spontanément reconstitué leur discipline par des statuts pleins de fermeté, vainement ils forment sous le titre de société d’hommes de loi une association vouée à la défense et offrant toutes les garanties de moralité