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un petit nombre de questions. » — Voilà pour les témoins, auxquels l’avocat lance parfois des pointes comme celle-ci. Un prétendu jurisconsulte vient déposer et déclare qu’il ne sait rien : « Vous croyez peut-être, dit Cicéron, que je vous interroge sur le droit ? » — Enfin, dans la défense de Célius, avec quelle cruelle finesse parle-t-il de Clodia, la sœur de son adversaire ! « Je m’exprimerais autrement, dit-il, sur son compte, si je n’avais égard à mes démêlés avec son mari, je veux dire avec son frère, car je m’y trompe toujours. Je n’ai jamais encouru les ressentimens d’une femme. Comment ne tiendrais-je pas à conserver les bonnes grâces de celle que l’on s’accorde à proclamer l’amie de tous les hommes ! » — Et cependant Cicéron est resté le grand avocat, l’éloquent orateur romain, et tous les avocats, tous les orateurs usaient de la même liberté de langage. C’est qu’il importait à la défense qu’il en fût ainsi. Dans quel milieu se trouvait Cicéron ? La dépravation était en haut et en bas ; juges et témoins se laissent corrompre ; la délation est partout, elle s’exerce à la façon d’une industrie et soutient le faste de plus d’une maison ; le barreau lui-même s’est, dit-on, laissé atteindre, et c’est parfois un adversaire qui a pactisé avec les délateurs qu’il faut combattre. Juvénal n’a point encore parlé du luxe des femmes, de leur goût effréné pour les plaisirs, de leur débauche : il n’a point encore dit comment, par leurs exigences ruineuses, elles avilissent les consciences et poussent la société aux gémonies ; mais le sujet de ses satires existe et n’attend plus que sa verve mordante. Dans ce temps de sourde agitation où le vieux monde se décompose, où le besoin du luxe et des plaisirs a surexcité toutes les passions, engendré tous les crimes, chercher des débats réglés, des plaidoiries modérées, polies et respectueuses, ce serait commettre un étrange anachronisme.

Parcourez maintenant les plaidoiries des avocats des XVIIe et XVIIIe siècles, tout change alors ; la parole de l’avocat est dogmatique, châtiée, presque toujours froide et sans mouvement ; les traits les plus hardis sont contenus par une prudente réserve et comme emmaillottés dans une formule académique. C’est le temps de la renaissance des lettres ; ce n’est pas encore celui de la réorganisation judiciaire. Il n’y a guère de débats qu’entre parties, le plus souvent sur des questions de fortune ou de propriété. Au criminel, l’avocat n’a rien à faire ; la procédure est secrète, et la plaidoirie, toujours si ardente quand il s’agit de la liberté ou de la vie des citoyens, est inconnue devant les tribunaux de répression. Il n’existe pas non plus de procès politiques ; une lettre de cachet aplanit en cette matière toutes les difficultés. On ne trouvera donc pas dans les plaidoiries de cette époque les prises énergiques de l’éloquence