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parlée et les hardiesses du barreau romain ; on ne les trouvera pas parce que, dans le petit cercle où se renfermait la défense, elles étaient inutiles ; les plus belles plaidoiries ont quelque chose du mémoire et de l’amplification, parce que l’on vit sur de longues procédures ; l’avocat a eu le loisir de méditer sa plaidoirie, de l’écrire même. Gerbier, dont la parole se ressentait le moins du travail de la plume, a laissé des manuscrits où l’on voit des exordes recommencés à trois fois ou préparés sous trois formes différentes. Il n’y avait rien pour ainsi dire d’imprévu dans des luttes dont toutes les péripéties s’étaient lentement accusées à l’avance dans la procédure écrite ; l’avocat agissait avec une préméditation qui eût donné une gravité particulière à des mouvemens oratoires trop vifs, ce qui est souvent inévitable dans la plaidoirie, alors qu’une partie de la procédure, se fait oralement et à l’audience publique, comme de nos jours en matière criminelle.

Il appartenait à la nouvelle organisation judiciaire d’ouvrir à la défense d’autres horizons. Si nous prenons cette organisation à sa plus belle période, nous la voyons avec un jury au grand criminel et dans les affaires de presse, avec la publicité des audiences, avec un barreau pour tous les degrés et pour tous les ordres de juridiction ; nous la voyons avec un organe de l’accusation appartenant à la magistrature, chargé de la poursuite des délits et des crimes, et c’est là précisément que vient se placer l’importante question traitée par M. Berryer. Dans l’état actuel des choses, le barreau jouit-il d’une liberté absolue dans l’exercice de la défense, même en face du ministère public ? ou bien est-il placé, relativement à ce magistrat, dans une condition inférieure aux yeux de la justice ? En un mot, peut-il combattre un réquisitoire comme il combattrait une plaidoirie adverse ?

Une question bien posée est, dit-on, à moitié résolue ; celle qui nous occupe se réduit à des termes bien simples. Que résulte-t-il des développemens qui précèdent ? Nous aurions bien peu fait, s’il n’était pas maintenant démontré que le droit de la défense est un droit naturel, que le barreau est le dépositaire et le gardien vigilant de ce droit au sein de la société. Il s’agit donc uniquement de savoir si une loi quelconque a limité l’exercice de ce droit en présence de l’accusation, car, du moment où un droit de ce genre est constaté, il doit s’exercer sans obstacle. Une loi seule peut en comprimer l’essor, sinon aux yeux de la morale et du droit absolu, du moins aux yeux des pouvoirs publics. Une pareille loi aurait-elle restreint le droit de la défense ou l’aurait-elle placé, dans notre organisation judiciaire, au-dessous du droit de l’accusation ?

La création du ministère public est une des choses qui ont le plus