Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/17

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
15
L’INSURRECTION CHINOISE.

dans sa province. Suivant son rapport, cette société compte de nombreux partisans dans les deux Kouang. Elle prend aussi le nom de Tan-tsé-houy (société des fils du travail) et de Tsing-i-houy (société de l’équité et des sentimens). En 1829, un des censeurs présente à l’empereur un mémoire dans lequel il expose les nombreux désordres que les membres de l’association de la Triade ont causés dans le Kiang-si. « Les autorités ne sont plus libres d’agir, l’action des lois est suspendue ; il faut une armée pour maintenir la paix dans la province. » Le Kouang-si fut pendant l’année 1831 le théâtre de grands troubles. Exposés depuis longtemps sans protection aux brigandages des associés de la Triade, qui cherchaient dans le vol des moyens de subsistance, les Yaou, habitans des montagnes frontières du You-nan, tournèrent contre les autorités les armes qu’ils avaient prises d’abord pour se défendre. L’insurrection coûta la vie à plusieurs milliers de soldats impériaux. Les membres de la Triade avaient fait la paix avec les Yaou, et les avaient aidés dans leur révolte contre le gouvernement. Cette même année, l’empereur Tao-kouang[1], voyant que la vigilance de ses fonctionnaires était impuissante à purger l’empire des associés du Tan-tsé-houy, essaya de les réduire par la douceur et le pardon. Il promit amnistie complète à tous ceux qui feraient l’aveu de leur crime et manifesteraient leur repentir. Ce nouveau moyen, que la politique avait dicté, ne réussit pas mieux que la rigueur. On voit se succéder, à trois années d’intervalle, en 1838 et 1841, les mémoires de deux censeurs qui déplorent en termes amers le triste état où les ravages de la Triade ont plongé les campagnes dans plusieurs districts. « Les pillages, les incendies, les viols, se succèdent avec une effrayante rapidité ; le cultivateur épouvanté paie une forte rétribution aux bandits, afin qu’ils le laissent vaquer paisiblement à ses travaux, et lorsque ses moissons sont mûres, il voit ses récoltes disparaître. » Le censeur Foun-tsan-youn, celui dont le rapport porte la date de 1841, transmet à l’empereur de curieux renseignemens sur l’organisation de la société. Il assure que des soldats et des officiers administratifs en font partie, et qu’elle domine l’autorité dans six provinces. « Si ces provinces se soulevaient à la fois, ajoute-t-il, ce ne serait pas un médiocre danger pour l’empire. » Le même fonctionnaire fait parvenir à l’empereur le sceau de la Triade, celui que portait chacun des associés comme marque d’affiliation et signe de reconnaissance. Quatre ans après, en 1845, les sinistres pressentimens de Foun-tsan-youn faillirent se réa-

  1. Tao-kouang fut le sixième empereur de la dynastie actuelle ; il succéda en 1820 à Kiu-king, dont il était le second fils. C’est à lui que les Anglais ont fait la guerre en 1840. Les conventions diplomatiques qui ont réglé nos relations avec la Chine jusqu’à la date des derniers événemens portaient toutes le sceau de Tao-kouang. Son successeur, Hienn-foung, qui gouverne actuellement, est monté sur le trône en 1850.