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briguaient les leçons des maîtres italiens et flamands, ou prétendaient se nourrir de leurs œuvres. Les étrangers étaient appelés sans relâche, et, quoique ce ne fussent en général que des peintres de troisième ordre, ils ne laissaient pas d’apporter des germes qui, en tout autre pays, eussent été féconds. Dès l’an 1415, nous voyons en Castille le Florentin Gherardo Starnina. Sous le règne de Jean II, on appelle de Florence le peintre Dello et de Flandre Rogel. Les Français arrivent à leur tour : Jean de Bourgogne, qui décore les monumens de Tolède ; Pierre de Champagne, qui peint à Séville, où les frères italiens Giulio et Alessandro enseignent leur art. À Tolède, Isaac de Helle et Dominique Theotocopoulos, appelé justement il Greco par les Italiens, fondent l’école ; Lupicini professe en Aragon. À Madrid, on compte toute une série de peintres étrangers : Antoine Moor, Caxesi, Rizi, Tibaldi, Castello et ses fils, les deux Carducci, Rubens enfin, qui réside à Madrid en 1628. Plus tard, Charles II appellera Luca Giordano ; Philippe V, Van Loo, Procaccini, Ranc Vanvitelli ; Charles III, Raphaël Mengs, sans pouvoir régénérer l’art, et les académies de Madrid, de Sarragosse, de Valence, de Séville même, ne sont qu’une solennelle protestation d’impuissance. Du reste, les peintres n’avaient rien à envier aux sculpteurs, car il est aisé de voir comment ces derniers ont profité des leçons de Philippe de Bourgogne et de Torrigiano, le rival de Michel-Ange.

Qu’on ne croie pas que les maîtres étrangers fussent mal accueillis. Ils étaient entourés d’honneurs, écoutés avec zèle, recherchés sans jalousie. Les Espagnols donnaient des preuves plus vives encore de leur ardeur, lorsqu’ils partaient pour l’Italie ou la Flandre, afin de s’inspirer aux sources. Vincente Juanes et Ribalta ont vécu en Italie, de même que Luis de Vargas, Marmolejo, Berruguete, Becerra, Fernandez Navarrete, et bien d’autres qui n’acquirent pas même la facilité d’exécution de ceux que je viens de citer. Pierre de Moya poursuivit Van Dyck jusqu’à Londres, afin de devenir son disciple. Velasquez fit en Italie des voyages prolongés, au risque de mécontenter Philippe IV, son protecteur. Le rêve de Murillo était de visiter l’Italie, il partit même pour Rome ; mais il rencontra sur sa route le musée de Madrid et s’y enferma pendant deux ans. Malgré tant d’efforts et des intentions si belles, les peintres espagnols ont gardé leur physionomie propre et une bonne part d’inexpérience. Les écoles, à peine constituées, ou tombaient ou méritaient l’oubli. Il ne reste, aux yeux de la postérité, que des individualités brillantes et des talens dont le principal trait (ce qui n’étonnera personne) est l’originalité. Parmi ces figures originales, les plus remarquables sont celles de Velasquez et de Murillo, l’un qui respire toute la fierté castillane et peint les splendeurs de la cour, l’autre qui représente le charme de la race andalouse et résume les inspirations