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religieuses qui sont l’âme de l’art espagnol ; le premier qui excite l’admiration, le second qui exerce un vif attrait, tous deux l’honneur de l’Espagne, et les seuls qui supportent’ une étude approfondie. Il est naturel de commencer par Velasquez, qui est le plus grand.

Velasquez est peu connu en Europe : on le range parmi les maîtres sans contestation comme sans enthousiasme, parce que sa place est faite et parce que les artistes qui ont visité Madrid se portent garans de sa gloire ; mais cette gloire, le public ne peut ni la discuter ni la confirmer, car les pièces du procès ne sont pas sous ses yeux. Rome, Gênes, Paris, Dresde et surtout l’Angleterre possèdent quelques tableaux de Velasquez, mais des tableaux isolés, d’une importance secondaire, qui ne donnent point sa mesure et ne frappent que les vrais connaisseurs. On peut dire que Velasquez est tout entier au musée de Madrid, puisque ce musée compte plus de soixante toiles du peintre de Philippe IV. L’Espagne a eu la fortune de retenir ses chefs-d’œuvre dans tous les genres où il s’est essayé, peinture religieuse, peinture d’histoire, mythologie, paysages, scènes d’intérieur, portraits en pied, portraits équestres. Pour expliquer cette fortune, il suffit de jeter un regard sur la vie de l’artiste.

Velasquez naquit à Séville en 1599. Son père s’appelait Juan-Rodriguez de Silva, sa mère Geronima Velasquez. Il réunit les deux noms, d’après l’usage espagnol, plus fréquent encore en Andalousie. La postérité, qui tend toujours à simplifier, n’a retenu que le nom de sa mère. Ses parens, frappés de la passion qui le portait vers le dessin, lui firent cesser ses études classiques et l’envoyèrent dans l’atelier d’Herrera le Vieux, qu’on aurait surnommé plutôt Herrera le Diable, si la peur de l’inquisition l’avait permis. Cet Herrera était un brutal avec qui personne ne pouvait vivre. Non-seulement ses élèves, mais ses enfans eux-mêmes prenaient la fuite, et il finit par rester seul. Sa peinture se ressentait de son caractère, elle était d’un furieux. Il se servait de brosses et de joncs pour couvrir ses toiles avec plus de rapidité, je veux dire avec plus de rage. Aussi ses saints et ses docteurs, qu’il aimait à représenter la plume à la main, ressemblent-ils à des possédés qu’on exorcise ou à des bandits que l’on va pendre. Les Espagnols, il est vrai, comparent modestement Herrera à Michel-Ange, comparaison qui réjouit singulièrement ceux qui voient ensuite les peintures d’Herrera à Séville. Velasquez se hâta de quitter un tel maître, et il fit bien. Tout ce qu’il put apprendre de lui, ce fut la négligence et l’audace, le mépris de la beauté et le goût d’un coloris énergique, enfin une liberté de composition qui ne dépasse pas les mérites de l’ébauche. »

Il entra chez Francesco Pacheco, qui formait avec Herrera un contraste parfait, caractère aimable, esprit cultivé, poète élégant, peintre