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une expression touchante de résignation, de piété, de vérité tranquille. Ses chairs sont pâles et presque livides, sans avoir rien de repoussant, mais plutôt à la façon de l’ivoire vieilli. Le teint est à la fois maladif et reposé : la mort est voisine, non sans un dernier sourire de la vie. Les mains, dont l’une est dégantée, sont croisées paisiblement autour d’un livre de messe. Une coiffe à demi transparente couvre le front et un crâne qui doit être chauve, mais qui est noblement déguisé. Toutefois, sous ce linon, la tête laisse percer ses contours, l’oreille donne ses profils, les tempes se modèlent, sans minutie, largement. Les joues, qui tombent un peu sous le poids des années, la bouche, d’où les rides n’ont point chassé la bonté, l’œil pensif, qui se prépare à s’éteindre, tout est sérieux, touchant ; il n’est pas jusqu’au ton bistré dont s’éclaire le visage de la vieille femme, qui ne rappelle la lumière discrète de l’église où elle va prier.

Les portraits en pied sont principalement les portraits de la famille royale, et, prises dans leur ensemble, ces images d’une race qui dépérit laissent aux plus indifférons une impression de tristesse. Ce que Van Dyck fut pour les Stuarts, Velasquez l’avait été pour la maison d’Autriche. Peintres des grandeurs déchues, tous les deux ont le secret de la dignité mélancolique et des fières pâleurs. En effet, le sang royal ne peut se démentir jusqu’au bout : il se rattache par quelque effort suprême aux traditions d’une longue suite d’ancêtres. En face du bourreau, il retrouve l’héroïsme ; au sein de l’abaissement, il sait descendre avec orgueil. Philippe IV perdit successivement le Roussillon, la Catalogne, le Portugal, les Flandres, sans tirer l’épée, mais sans que son visage trahît la moindre émotion. Indolent, dévot, ami des plaisirs, ayant pour les arts et les lettres le goût qu’inspirent des distractions délicates, l’idée de la royauté fut sa seule conviction profonde. Il sentait à chaque heure du jour qu’il était le représentant du droit divin sur la terre, et se comportait avec une gravité propre à imposer aux peuples. Jamais on ne le vit sourire : l’étiquette pompeuse et froide régnait à sa cour, et je ne doute pas qu’il n’ait servi de modèle, en cela du moins, à son gendre Louis XIV. Aussi Velasquez dut-il se borner à reproduire cette figure impassible, qu’il peignît le roi dans son palais ou dans son oratoire, à cheval ou en costume de chasse ; mais, tout en copiant ses yeux fixes, ses traits raides, ses lèvres pesantes, sa moustache frisée, ses cheveux clairs, sa complexion appauvrie, il y ajoutait quelque chose de ce que nous appelons la morgue espagnole. Cette hauteur qui se surfait à elle-même ce qu’elle vaut et déclare aux autres que rien ne peut l’atteindre n’est pas la majesté vraie, mais elle en tient lieu. Outre la grande tournure qu’il imprimait aussitôt à son personnage, l’artiste le réchauffait encore par la noblesse des poses. Il exécutait les mains avec soin ; il les faisait