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Comment cette modification a-t-elle eu lieu ? Sous quelle puissante influence l’insurrection a-t-elle revêtu cette nouvelle forme, qui a frappé d’étonnement tous ceux qui ont vu de près les rebelles ? C’est là une question très importante, qui n’a pas encore été suffisamment éclaircie, et qui n’est complètement résolue par aucun des deux systèmes dont il me reste à parler.

Voici d’abord la version protestante. Au mois de septembre 1852, un missionnaire protestant de Hong-kong reçut d’un Chinois qui avait pris part aux premières tentatives d’insurrection quelques renseignemens qui lui parurent jeter une vive lumière sur l’origine du mouvement du Kouang-si. Le chef et le promoteur de l’insurrection, Hong-siou-tsiouen, avait manifesté dès son enfance un goût singulier pour l’étude. Aussi ses parens l’avaient-ils envoyé dès l’âge de seize ans à Canton pour y prendre ses premiers degrés. C’était l’époque des examens triennaux. La ville était pleine d’étrangers, qui étaient accourus pour juger du mérite des candidats. Parmi ces étrangers, un homme aux traits fortement accentués, à la longue barbe, à la démarche grave et lente, attira l’attention de Hong-siou-tsiouen. Au moment où le jeune homme contemplait ce vénérable personnage avec une respectueuse admiration, l’inconnu s’approcha de lui, et, sans mot dire, lui remit un traité intitulé Paroles salutaires pour l’exhortation du siècle. De retour dans son village, le jeune bachelier parcourut avidement cet ouvrage et se pénétra des maximes qu’il renfermait. Elles prescrivaient d’adorer Dieu et Jésus-Christ, le sauveur du monde, d’obéir aux dix commandemens et de rejeter le culte des démons. C’était une doctrine toute nouvelle pour Hong-siou-tsiouen, et qui le remplit d’abord d’étonnement. Bientôt après, étant tombé gravement malade, il eut une vision qui ne lui laissa plus de doute sur la vérité des salutaires paroles. Dieu lui était apparu, lui avait ordonné d’y croire et de les enseigner. À peine rétabli, il se rendit à Canton, n’ayant plus qu’une seule pensée, celle d’acquérir la science qui lui était nécessaire pour l’accomplissement de sa mission. Il y passa trois mois dans la maison d’un missionnaire protestant, apprenant par cœur les saintes Écritures, après quoi il retourna dans le Kouang-si pour y enseigner et y prêcher à son tour. Son éloquence et son zèle lui firent bientôt des prosélytes, qui ne furent pas inquiétés d’abord, mais qui, devenant plus nombreux chaque jour, finirent par appeler l’attention de l’autorité. La persécution suivit de près les premiers soupçons, et deux des élèves du jeune réformateur, Ouang et Lou, furent mis à mort. C’est alors que Hong-siou-tsiouen et ses adhérens tirèrent l’épée pour se défendre. — Tel est le récit qui fut communiqué par écrit en 1852 au missionnaire de Hong-kong, et que celui-ci a transmis à un de ses confrères de Canton, M. Roberts, qui le fit paraître dans un recueil