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et leur avait promis la victoire au nom de Dieu. Cet homme était déjà depuis longtemps l’objet de l’attention publique. Il se disait inspiré de la Divinité et chargé par elle de faire revivre la doctrine céleste. Dans sa jeunesse, il avait été atteint d’une grave maladie à laquelle il avait miraculeusement échappé. À la suite d’un long évanouissement pendant lequel on l’avait cru mort, il avait donné les signes d’une exaltation singulière, assurant que Dieu lui était apparu, et lui avait appris qu’en faisant des recherches il trouverait dans les environs de son village des livres contenant la doctrine céleste. Aidé de son ancien maître d’école, qui lui avait voué une affection à toute épreuve, il avait fait des recherches et découvert dans une maison abandonnée une caisse de livres dont quelques-uns étaient manuscrits ; ils avaient tout au moins un siècle de date et renfermaient la précieuse doctrine. Le chef choisi par les Miao-tsé n’était autre que Hong-siou-tsiouen, qui règne aujourd’hui à Nankin sous le nom de Taï-ping-ouang, et le maître d’école est devenu Foung-youn-san, roi du midi et troisième personnage du nouvel empire. Quant aux livres qu’ils avaient trouvés, c’étaient en grande partie, assure-t-on, des relations écrites par les anciens pères jésuites. D’après ce système, la rébellion n’aurait donc été à l’origine qu’un soulèvement des Miao-tsé, qui auraient relevé l’étendard des Ming, et combattraient au nom d’idées et de principes émanant d’une source catholique.

Cette explication des causes originelles de l’insurrection chinoise est sans doute beaucoup plus plausible que la version protestante. La haine naturelle des Miao-tsé contre les Tartares, leur attachement traditionnel à la race des souverains que ces derniers avaient chassés, la confiance et la hardiesse qu’ils avaient sans doute puisées dans leurs nombreuses victoires sur les armées impériales, la terreur que le souvenir de ces victoires inspirait au gouvernement, constituaient assurément des élémens de révolte et de succès bien autrement puissans, bien autrement féconds, que le sentiment de défense personnelle qui aurait mis les armes à la main d’une bande de récens convertis peu nombreux et certainement peu populaires. Néanmoins il me paraît difficile de ne pas tenir compte des renseignemens positifs qui combattent cette dernière version. On sait, par des témoignages dont on ne peut douter, que les premiers symptômes de l’insurrection ont éclaté dans des districts du Kouang-si éloignés des montagnes occupées par les Miao-tsé, et il a été prouvé que si les idées chrétiennes émises par Taï-ping-ouang peuvent émaner aussi bien des catholiques que des protestans, la plupart des formes dont sont revêtues ces idées et des caractères qui les représentent sont tirés des livres et des écrits protestans.

On peut l’affirmer en définitive, c’est dans le vaste foyer des con-