Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/253

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de son caractère d’ambassadeur. Ce qu’il y a de curieux en tout cela, c’est que M. Juarez envoyait aussitôt un ministre à Madrid pour essayer de persuader au cabinet espagnol qu’il n’avait entendu frapper que l’homme en M. Pacheco sans atteindre le représentant de la reine, et ce qu’il y a de plus curieux encore, c’est que la ruse ne paraît pas avoir été sans succès jusqu’ici. Le cabinet de Madrid a du moins hésité, si bien que M. Pacheco a fini tout récemment par être obligé de donner assez vivement sa démission, et c’est dans ces termes que l’Espagne se trouve encore vis-à-vis du Mexique.

Le même fait s’est reproduit à peu près dans une autre république américaine, le Venezuela, qui n’est pas moins que le Mexique livrée à la guerre civile. Depuis deux ans, cette guerre civile a coûté la vie à plus de cent Espagnols, assassinés par les deux partis. Le chargé d’affaires d’Espagne, qui était M. Eduardo Romea, un frère du célèbre acteur de Madrid, eut l’ordre de réclamer des satisfactions pour tous ces crimes. Ne recevant qu’une réponse évasive, il prit ses passeports, appelant quelques navires de La Havane pour exiger par les armes ce qu’il n’avait pu obtenir. Les navires arrivèrent en effet devant le port vénézuélien de La Guayra ; ils y restèrent quelques jours, puis ils repartirent, laissant le Venezuela en pleine anarchie ; sans tenter même la moindre démonstration pour ramener ce triste gouvernement au respect du droit et de la vie humaine. Il est vrai que le Venezuela, agissant comme le Mexique, a envoyé aussi un ministre à Madrid pour rejeter la faute de tout ce qui est arrivé sur M. Romea, qu’on ne peut cependant accuser de l’assassinat de tant d’Espagnols victimes des passions locales.

Ces événemens, il nous semble, laissent voir quelque chose de l’incertitude dont nous parlions, — incertitude qui se manifeste au Mexique et dans le Venezuela comme dans les affaires d’Italie, comme dans la marche intérieure du pays, et qui réduit la politique du gouvernement de Madrid à n’être qu’une espèce d’équilibre d’inaction. Qu’en résulte-t-il ? C’est que le ministère du général O’Donnell voit peu à peu sa position diminuer, ses amis se retirer de lui, et l’opposition grandir. Après M. Rios-Rosas, qui rompait avec le cabinet il y a deux mois, c’est tout récemment M. Pacheco qui a été conduit à une rupture semblable. Bien d’autres hommes rapprochés du général O’Donnell ne lui cachent pas, dit-on, la crise qui s’aggrave et la nécessité d’en venir à une reconstitution du cabinet propre à relever la fortune de l’union libérale. Il n’est point difficile d’un autre côté de distinguer un effort de toutes les oppositions pour se rapprocher, se coaliser et entreprendre une campagne plus décisive. Une chose à remarquer, c’est que dans cette lutte ministère et opposition sont également des coalitions de partis différens, de diverses nuances. Quelle est celle qui l’emportera ? L’imprévu peut jouer un grand rôle aujourd’hui, comme dans toutes les affaires de la Péninsule en tous les temps. Ce qui est certain, c’est que la combinaison la plus heureuse, la plus favorable pour le pays, sera celle qui, adoptant enfin une politique nette et résolue, appliquera les idées libérales au maniement de tous les intérêts extérieurs et intérieurs de l’Espagne, et fera de ces idées elles-mêmes l’appui le plus sûr, la garantie la plus efficace de la monarchie et de la paix publique.


CH. DE MAZADE.