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après le déjeuner… Nous causerons… de choses graves… (Elle jette sa rose sur la table et entre dans la salle à manger.)

GORSKI, seul. Il prend la rose, et reste quelques instans immobile.

Eugène Andréitch, mon ami, je dois vous dire franchement qu’à mon avis vous n’êtes pas de force à lutter contre ce démon. Vous vous jetez de côté et d’autre, elle ne remue pas seulement le petit doigt, et vous vous découvrez complètement. Du reste, qu’est-ce que cela fait ? Ou je serai vainqueur, ou je perdrai la partie. Dans ce cas, il n’y aura pas de honte à épouser une femme comme celle-ci ! C’est effrayant sans doute ;… mais d’un autre côté à quoi bon conserver ma liberté ? Doucement, Eugène Andréitch, doucement, ne vous livrez pas trop vite… (considérant la rose.) Que signifies-tu, pauvre fleur ?… Ah ! Mme Libanof avec son amie !… (Il cache avec soin la rose. — Entre madame Libanof, accompagnée de Varvara Ivanovna.) Boujour, mesdames, comment avez-vous dormi ?

MADAME LIBANOF, lui donnant le bout de ses doigts.

Bonjour, Eugène… J’ai un peu mal à la tête aujourd’hui.

VARVARA IVANOVNA.

Vous vous couchez trop tard, Anna Vassilevna.

MADAME LIBANOF

C’est possible… Et où est Vera ? L’avez-vous vue ?

GORSKI.

Elle prend le thé dans la salle à manger avec Mlle Bienaimé et Moukhine.

MADAME LIBANOF

Ah ! oui, M. Moukhine ; on dit qu’il est arrivé cette nuit. Le connaissez-vous ? (Elle s’assied.)

GORSKI.

Je le connais depuis longtemps. N’allez-vous pas prendre une tasse de thé ?

MADAME LIBANOF

Non, le thé m’agite, Gutmann me le défend ; mais je ne vous retiens pas,… allez, allez, Varvara Ivanovna. (Varvara Ivanovna sort.) Et vous, Gorski, vous restez ?… Quelle délicieuse matinée !… Avez-vous vu le capitaine ?

GORSKI.

Non. Il doit être, selon son habitude, à se promener au jardin,… pour chercher des champignons.

MADAME LIBANOF

Imaginez-vous quelle partie il m’a gagnée hier ?… Mais asseyez-vous donc… Pourquoi restez-vous debout ? (Gorski s’assied.) J’avais le plus beau jeu, mes combinaisons étaient parfaites ; mais Varvara Ivanovna a tout gâté. Elle joue à tort et à travers, avec un guignon inconcevable. Ce scélérat, lui, a du bonheur, et, les maladresses de Varvara Ivanovna l’aidant, je me suis trouvée dans une fort mauvaise passe. Que voulez-vous ? Il a gagné, c’est tout simple ; mais à propos, il faut que j’envoie en ville. (Elle sonne.)

GORSKI.

Pour quoi faire ?