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VERA.

Oui, commencez.

MOUKHINE.

Commence, commence.

MADEMOISELLE BIENAIMÉ.

Oui, commencez, monsieur Gorski.

GORSKI.

Vous le voulez absolument !… Volontiers… Je commence. (Il tousse.) Hum ! . hum !…

MADEMOISELLE BIENAIMÉ.

Hé ! hé ! nous allons rire.

GORSKI.

Ne riez pas d’avance !… Or donc écoutez. Un certain baron…

MOUKHINE, interrompant..

Avait une fantaisie[1].

GORSKI.

Non, avait une fille.

MOUKHINE.

Bon, c’est à peu près la même chose.

GORSKI.

Dieu ! que tu es spirituel aujourd’hui ! Or donc un certain baron avait une fille unique : elle était très jolie, son père l’aimait beaucoup, elle aimait beaucoup son père, tout était pour le mieux. — Mais un beau jour la jeune baronne se persuada soudain qu’au fond la vie était chose fort déplaisante. La voilà qui commence à s’ennuyer, elle pleure et se met au lit… La camériste court aussitôt prévenir le père. Le père arrive, regarde, hoche la tête ; il se retire à pas mesurés, sonne son secrétaire et lui dicte trois lettres pour trois jeunes seigneurs d’ancienne souche et de tournure agréable. Le lendemain, nos trois jeunes seigneurs viennent s’incliner à tour de rôle devant le baron. La jeune baronne se reprend à sourire comme auparavant, — plus gracieusement encore qu’auparavant, — et examine avec attention les trois prétendus, car le baron était un diplomate, et les jeunes gens étaient des prétendus.

MOUKHINE.

Comme tu entres dans les détails !

GORSKI.

Quel mal y vois-tu, mon cher ami ?

MADEMOISELLE BIENAIMÉ.

Mais oui, laissez-le faire.

VERA, regardant attentivement Gorski.

Continuez.

GORSKI.

La jeune baronne a donc trois prétendans. Lequel choisir ? C’est le cœur qui répond le mieux à cette question… Mais quand le cœur balance ?… La

  1. Allusion à un proverbe russe : « Chaque baron a sa fantaisie. »