Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/298

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J’ai cru autrefois Gênes supérieure ; Gênes a de plus ses souvenirs historiques, ses palais et une cathédrale d’une vétusté bizarre ; mais Gênes a gardé un air de ville vieille et délabrée : Marseille a suivi et presque devancé le siècle. Son nouveau port, ses nouveaux quartiers, sa promenade de ceinture, par le Prado, le Château-Borelli et la Nouvelle-Corniche, peuvent rivaliser avec ce que l’embellissement moderne a produit de mieux. Me sera-t-il permis de dire qu’un sentiment instinctif qu’il faudrait peut-être appeler le cri du sang ne me laisse pas voir avec indifférence cette cité que je n’ai jamais habitée, à ce point que je ne la traverse pas sans un vague désir de ne la plus quitter ? Homme du nord par toutes mes opinions et tous mes goûts, je ne rencontre à Marseille que des intérêts qui me sont étrangers ; les mœurs, le langage, rien ne m’est familier, et cependant je m’y sens comme dans une patrie dont j’aurais gardé un vague souvenir. Est-ce l’esprit de famille qui parle en moi, et entendrais-je à mon insu la voix de ces échevins d’un autre siècle qui m’ont laissé leur nom ? Peut-être, sans s’en douter, reste-t-on toujours du pays d’où l’on vient.

Le chemin de fer de Marseille à Toulon parcourt un pays singulier qui ressemble aux environs de Sienne avec la Méditerranée de plus. On ne traverse plus ces gorges d’Ollioules, ce paysage de rochers, ce défilé âpre et nu qui semblait disposé par les romanciers pour servir de scène au rapt et au meurtre ; mais on arrive sans un moment d’ennui dans cette petite ville, qui, elle aussi, a doublé son périmètre et qui remplit en hâte la large ceinture que le génie militaire vient de lui donner. De Toulon au Var, notre ancienne frontière, on traverse des pays charmans, la solitaire forêt de l’Esterel, où se soulèvent à perte de vue des mamelons couverts de pins ou d’arbustes du midi ; Cannes enfin, que le débarquement de l’île d’Elbe avait illustrée sans la faire connaître, et dont nous devons la découverte aux Anglais. Il y a là une ou deux heures de route qui sont un véritable enchantement. La nature méridionale n’est nulle part plus riche et plus riante qu’aux environs de Cannes. Les jolies maisons qui s’y sont bâties depuis vingt ans ne sont pas encore assez nombreuses pour encombrer le paysage. La végétation naturelle et la culture des fleurs s’y disputent les pentes d’un terrain qui, par les accidens de sa surface, se prête à toutes les expositions et presque à tous les climats. Entre des bouquets de pins maritimes, d’oliviers et de chênes verts, des bosquets d’orangers croissent dans des champs de jasmin et de violette. Quand nous suivîmes ce doux rivage, la pluie de la nuit avait rafraîchi toutes les teintes qu’un soleil du matin, perçant les nuages, lustrait de ses rayons humides. C’était, à la naissance de l’hiver, la température du printemps ;