Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/303

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si impérieusement condamné la plus modeste dissidence, le doute le plus timide, quand ce doute et cette dissidence sont dans le sens des espérances actuelles de l’Italie, que c’est une question qu’on aimerait à éviter quand on ne peut la résoudre, ou du moins qu’on ne voudrait pas traiter à demi. Elle est grave et difficile, et ce n’est pas en passant qu’on pourrait, non pas échapper, mais répondre par avance aux arrêts dédaigneux d’une sagesse absolue qui n’admet ni tempérament ni incertitude. J’ajouterai donc peu de chose à ce que j’ai dit autrefois de l’Italie, mais je ne rétracterai rien, car il faut bien avouer qu’ici même, dans ce recueil, dans ces notes de voyage qui n’avaient pas déplu, j’avais déjà dit que le seul pays du continent peut-être que la crise de 1848 n’eût pas laissé abattu et humilié, c’était l’Italie. À son peuple seulement, cette crise énervante avait après elle laissé la confiance dans l’avenir et en lui-même. De lui, à ce qu’il me semblait alors, devait venir le premier grand événement qui occuperait le monde. C’était chose évidente depuis dix ans, et parce que l’événement est venu en aide au pronostic, parce qu’il est arrivé à mon opinion des renforts bien inattendus, je ne puis en vérité ni l’abandonner ni la taire, et je continue à être de l’avis de ce qu’ont fait nos soldats.

Les événemens, j’en conviens, ont marché plus vite que ma pensée ; ils m’ont de beaucoup dépassé. S’il était bienséant de se citer soi-même, on verrait qu’en attribuant au Piémont l’initiative et la direction du mouvement national, en croyant qu’un certain agrandissement de ce royaume serait le signal et le premier pas de la reconstitution de la nationalité italienne, je n’attendais rien que de lent, de partiel, de successif. Les évolutions brusques, les plans systématiques, les résultats complets ne sont jamais à prévoir ni à désirer, et je ne me défends pas d’une certaine crainte de l’absolu. Je me défie de toute politique logique jusqu’au bout, et n’aurais pas conseillé à l’Italie de s’éprendre des conséquences extrêmes ; mais ce n’est pas une raison pour retirer un principe après l’avoir posé, et rien ne me paraît avoir ébranlé cette idée fondamentale : l’indépendance et la liberté de l’Italie par l’hégémonie du Piémont et par l’union de l’Italie entière. Que naturellement l’hégémonie tendît à la domination et l’union à l’unité, cela est encore certain ; que l’une et l’autre dussent arriver pleinement à ce double but, c’est plus douteux. Ici commence le rôle de la prudence, l’examen des faits, l’appréciation des droits acquis, le calcul des chances et des obstacles, des inconvéniens et des avantages, la science de la conduite, la part de la nécessité, en un mot tout ce qui est obscur et litigieux dans la politique. Pour moi, je ne suis engagé à soutenir que les deux points fondamentaux, et même je me bornerai à rappeler qu’ils