Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/302

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ici comme le programme de gloire du futur conquérant, qui voit de ses yeux le champ réel des victoires imaginaires dont il fera d’immortelles réalités.

Nous ne vîmes de ces plaines qu’un nuage pluvieux qui les couvrait tout entières, et à Coni nous commençâmes à connaître l’Italie en hiver. Quoique cette saison soit loin d’y être aussi rigoureuse que dans le nord, je ne conseillerai à personne de trop compter sur la réputation de son beau ciel. Beyle ne veut pas qu’on voie sans soleil le pays de la volupté. Volupté à part, Beyle a raison.

Coni est une ville très italienne, et par un jour de marché la population s’y montre telle à peu près qu’en pareils jours celle de Plaisance ou de Pavie, voire celle de Rimini ou de Spolète ; il manque seulement la mendicité. Les anciens remparts, changés par les Français en boulevards inoffensifs, laissent voir au loin les riches campagnes que domine le plateau où la ville est assise ; mais pour nous la pluie noie le paysage : il nous faut entrer dans ces rues où se presse la foule ; on y vend partout des journaux et des châtaignes. Achetons un journal. Je l’achetai, et j’y trouvai un premier Turin avec ce titre : Les dernières réformes en France. Qu’est-ce que cela voulait dire ? Je fus longtemps sans y rien comprendre. C’était le décret du 24 novembre. Il est donc vrai, il faut qu’un gouvernement soit discuté. C’est une nécessité de notre temps ; tôt ou tard tout le monde y vient.

Le Piémont en est là depuis longtemps, et en allant à Turin je savais que j’allais retrouver quelque chose de la liberté de Londres. On respire à l’aise dans ces endroits-là. Le climat de Turin passe pour rigoureux ; il ne l’a pas été cette année. Cependant la ville n’était pas égayée par la lumière comme je l’avais vue au printemps de 1857 ; mais elle avait toute autre chose à faire qu’à s’occuper de la pluie et du beau temps, et le jour qui l’éclaire dissipe tous les nuages et brille jusque sous un ciel orageux.

Il me semble avoir dit autrefois tout ce que j’avais à dire de Turin, et j’ai hâte de conduire le lecteur en des lieux qui nous soient plus nouveaux ; mais quoi ! est-il possible de quitter cette ville sans dire un mot de ce qui lui est arrivé depuis notre dernière visite ? Aurais-je fait la gageure, et pourrais-je la tenir, de parler de l’Italie en 1860 sans effleurer la politique ? Ne serait-ce pas une affectation où une faiblesse qu’on ne saurait comprendre ni me pardonner ? Et ceux qui me voudront bien lire s’attendent-ils à ne trouver en moi qu’un amateur de musées et de paysages ?

Cependant, je l’avoue, il m’en coûte de parler de l’Italie politique. Des opinions si exclusives et des passions si respectables ont à son sujet pris en France une telle autorité et si éloquemment interdit,