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Sur ces entrefaites arrivait Chi-ta-kah. On prétend que, saisi de tristesse et d’indignation à la nouvelle des événemens qui venaient de mettre en danger l’œuvre commune, il jugea politique d’en rejeter la responsabilité sur le roi du nord, et fit demander secrètement sa tête. Nankin fut de nouveau menacée d’un siège ; on ferma ses portes ; la tour de porcelaine[1], d’où le prince assistant pouvait foudroyer la ville, fut minée. Il y eut dans le parti de l’insurrection deux camps et deux armées. La fortune de Taï-ping-ouang devait sortir triomphante de cette difficile épreuve. Le roi du nord se laissa séduire par de flatteuses apparences. Arrêté au moment où il se croyait au comble de la faveur, il fut accusé de conspiration et décapité. Le jour même, Chi-ta-kah entrait à Nankin en libérateur. La paix et la confiance y étaient rétablies.

Ce n’était pas seulement au centre de sa capitale et dans l’enceinte même de son palais que Taï-ping-ouang voyait la trahison conspirer contre son naissant empire. Un de ses plus braves généraux, Tchang-kouo-liang, venait de passer à l’ennemi. Connaissant de vieille date la tactique des insurgés, doué d’une grande audace, d’une rare activité et de beaucoup d’ambition, ce nouvel auxiliaire, dont Ho-tchoun avait sans doute acheté le concours par des titres et des dignités, eut bientôt rétabli dans le Kiang-soules affaires de l’empereur. Avant la fin de 1857, il avait rendu Pouh-kaho à son nouveau maître, forcé, pris ou brûlé onze camps rebelles, et était devenu la terreur de ses anciens compagnons d’armes. Un titre de noblesse, transmis-sible à son fils, et qui devait également illustrer la mémoire de son père, fut la récompense de ces premiers exploits[2].

  1. La fameuse tour de porcelaine est située au sud de la ville, un peu en dehors des murs, au centre d’un monastère dont l’enceinte a près d’une lieue et qui est appelé le monastère de la faveur rémunératrice. C’est un monument octogone à neuf étages dont le plus bas a 120 pieds de tour. Elle repose sur une large base en briques de 10 pieds de haut. Un escalier en spirale de cent quatre-vingt-dix marches conduit au sommet, que surmonte un mat de 30 pieds terminé par une boule en cuivre. L’ensemble s’élève à 260 pieds au-dessus du sol. Le monument est recouvert de plaques de porcelaine vertes, rouges, jaunes et blanches. Chaque étage est surmonté d’un toit en saillie couvert en tuiles vertes, et une sonnette en cuivre est suspendue à l’extrémité de chacune des huit cornes. Commencée en l’an 372 après Jésus-Christ par l’empereur Kien-ouan, de la dynastie des Tsin, elle fut brûlée par les Mongols et rebâtie par Yong-loh en 1411, lorsqu’il transporta le siège du gouvernement de Nankin à Pékin. Son fils la termina. La construction de cette tour n’a pas coûté moins de 20 millions de francs.
  2. Les lois chinoises admettent cinq ordres de noblesse non héréditaires, ou héréditaires seulement pour un certain nombre de générations mentionnées dans le brevet. Ces ordres, dont les trois premiers donnent le pas sur les plus hauts fonctionnaires et qui sont conférés également aux civils ou aux militaires, s’appellent en chinois kong, hao, pei, tz, nan. On est convenu de traduire ces expressions par celles de duc, marquis, comte, vicomte et baron, afin de maintenir entre ces différens titres une hiérarchie qui nous soit intelligible. La loi n’accorde l’hérédité perpétuelle du titre qu’à deux familles, celles du sage Confucius et du brave Ko-ching-a, dont les descendans en ligne directe ajoutent à leurs noms ceux de duc sacré et de duc dompteur de la mer.