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Les victoires qui les suivirent parurent plus décisives encore. Pendant les premiers mois de 1858, on combattit avec acharnement aux environs de Lih-choui[1]. Perdue et reprise trois fois, cette sous-préfecture fut définitivement occupée par Tchang-kouo-liang. Le 27 septembre à minuit, il s’emparait par surprise de Tchin-kiang-fou, faisait un grand carnage de la garnison, et le lendemain il pénétrait sans résistance dans Koua-tchao. La libre navigation du Grand-Canal, interrompue depuis cinq ans, était enfin rétablie. Dans toute la province du Kiang-sou, une seule ville, Nankin, restait à Taï-ping-ouang. Les rebelles qui avaient échappé aux massacres de Tchin-kiang et de Koua-tchao s’y étaient réfugiés. Tchang mit immédiatement le siège devant la capitale de l’insurrection.

La chute de Nankin fut alors regardée comme certaine par le gouvernement impérial. On savait bien à Pékin qu’une ville entourée de hautes et épaisses murailles, défendue par des fossés profonds et par cent mille rebelles, ne pouvait être emportée d’assaut ; mais on comptait sur la vigilance et la grande habileté de Tchang-kouo-liang, sur la famine et la défection. Les combinaisons du jeune et bouillant général devaient pourtant échouer devant les mêmes obstacles qui avaient déjoué les plans du vieux Hiang-yong. Un long siège use vite l’énergie des troupes d’attaque quand elle n’est pas entretenue par de continuels dangers et de fréquentes escarmouches. Peu à peu l’activité du général s’endort, la discipline de ses soldats se relâche, leur ardeur s’éteint. Les assiégés au contraire semblent puiser de nouvelles forces dans leur détresse même, et quand ils savent que le vainqueur ne fait pas grâce, ils deviennent capables d’un élan qui brise toute résistance et fait tout plier. En 1859, Tchang recula devant les sorties de la garnison qu’il tenait bloquée, son camp fut surpris ; il se vit forcé de lever le siège de Nankin et se laissa tourner par une bande de rebelles qui alla s’établir dans la ville de Yang-tchao. Quelques jours après, il passait le fleuve, afin d’arracher à l’insurrection cette nouvelle conquête qui la rendait maîtresse une seconde fois de la navigation du Grand-Canal.

Nankin était encore cernée par les troupes impériales lorsque lord Elgin remonta le Yang-tze-kiang à son retour du Peï-ho. On sait que les traités de Tien-tsin ont ouvert au commerce les villes que baigne le grand fleuve. L’ambassadeur d’Angleterre se proposait de les visiter, de mettre à l’étude jusqu’à You-tchang-fou, sur un parcours de 250 lieues, une navigation périlleuse et presque inconnue, d’apprécier par lui-même la situation morale et politique de la partie

  1. Sous-préfecture à l’est de Ta-ping-fou.