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de justifier sa doctrine d’une redoutable accusation que ses adversaires ont portée contre elle, et il s’attache à combattre les répugnances nationales de ses partisans par des argumens tirés des classiques chinois.


« Quelques-uns, dit-il, ne craignent pas d’affirmer qu’en adorant Dieu nous ne faisons qu’imiter les étrangers, comme si nos annales historiques, que chacun peut lire, ne démontraient pas la fausseté de leur allégation. » Depuis le temps de Poan-khou[1] jusqu’à l’ère des trois dynasties, les princes et les peuples honoraient et respectaient le grand Dieu. « Mencius dit : lorsque le ciel forma le genre humain, il institua des souverains et des sages qui pussent, en qualité de lieutenans de Dieu sur la terre, conférer gracieusement la tranquillité aux nations. » Selon le livre des Odes, Vou-ouang et Ouang-ouang, de la dynastie Tchao, ainsi que Tching-tang, de la dynastie Chang, rendaient leurs hommages à la Divinité, et « nous lisons dans le livre des Diagrammes[2] que les anciens rois, après avoir inventé les instrumens de musique dans le dessein de perfectionner la vertu, en jouaient principalement en présence du grand Dieu. » Nous vous le demandons, peut-on dire raisonnablement que ces respectables personnages imitaient les étrangers[3] ? Il a été dit de toute antiquité que les hommes ne constituent qu’une seule famille dont le grand Dieu est le père. « Si nous n’avions pas perdu cette conscience naturelle » qui guidait autrefois les sages et que les étrangers ont su conserver, nous croirions encore que « tout dépend ici-bas de la volonté de Dieu, » et nous eussions continué à marcher dans les mêmes voies que les nations étrangères ; mais il y a déjà quatre mille ans que Kiou ( 2219 ans avant Jésus-Christ) introduisit parmi nous le culte des esprits corrompus. Plus tard, sous la dynastie des Tsing, on adora les empereurs Chun et Yu ; puis vinrent Siouen (72 ans avant Jésus-Christ) et Vou (25 ans avant Jésus-Christ), de la dynastie Han, qui crurent également aux génies, Ming, de la même dynastie (58 ans après Jésus-Christ), qui fut le coupable protecteur des institutions boudhiques, et enfin Houi, de la dynastie Song (1107 ans après Jésus-Christ), qui surpassa les folies superstitieuses de ses prédécesseurs, et fut assez audacieux pour donner à Dieu le nom « d’empereur de perle. » Depuis ce moment, les ténèbres sont devenues plus épaisses, et nous nous sommes enfoncés de plus en plus dans l’erreur. Les choses en sont venues à ce point que « les pieds ont pris la place de la tête, » que « la terre des esprits a été occupée par les démons, » que « les Chinois ont été conquis par les Tartares[4]. »

« Les démons tartares ont perdu de vue leur origine : ils ont oublié que

  1. Le premier homme dont il soit parlé dans l’histoire de la Chine.
  2. Ce livre est attribué à Fou-hi, qui, si l’on s’en rapporte à la chronologie chinoise, vivait 2852 ans avant Jésus-Christ. Les historiens ne sont pas bien d’accord sur cette date, mais ils pensent généralement que c’est au temps de Fou-hi que se termine la période mythologique de l’histoire chinoise.
  3. Livre des préceptes religieux.
  4. Proclamations publiées par Yang et Siaou.