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voulue de part ou d’autre que nos efforts pour y atteindre eussent été illusoires et périlleux en présence des complications que soulevait sans cesse l’animosité réciproque des deux pays.

Pour faire bien apprécier ce que devinrent plus tard nos relations avec lord Aberdeen, il n’est pas sans intérêt d’établir nettement ce qu’elles furent à leur origine. Quelques courts extraits des souvenirs écrits de l’époque que j’ai pu conserver suffiront, je l’espère, pour les caractériser. Ainsi le 8 juillet 1842 j’écrivais à M. Guizot :


Lord Aberdeen ne m’a parlé ensuite que des affaires de pêcheries que nous cherchons sérieusement à terminer. Il se montre peu disposé aux concessions dans un moment, m’a-t-il dit, « où vous nous témoignez votre hostilité sous toutes les formes. » J’espère que la question est en bonne voie. »

« Le 13 juillet[1]. — On croit ici avoir déjà gardé bien des ménagemens inutiles et peu comptés en France, et je craindrais en vérité s’il surgissait une affaire irritante… « Que deviendraient, m’a dit lord Aberdeen, les relations diplomatiques des nations, si les questions liquides, si les solutions incontestablement équitables étaient, pour de pareils motifs, indéfiniment ajournées ? Ne serais-je pas forcé moi-même, par ceux qui me surveillent, de suspendre à votre exemple toute résolution impliquant une concession quelconque à une réclamation française ? » — … J’ai cru devoir, monsieur le ministre, rendre compte à votre excellence de ces dispositions de lord Aberdeen telles qu’elles se manifestent, avec une parfaite courtoisie dans la forme, toutes les fois que j’ai l’occasion d’aborder avec lui une question politique. Il serait presque inutile d’ajouter que ces dispositions sont exploitées avec une grande persévérance par les représentans des principales puissances européennes à Londres, et qu’ils se félicitent sans cesse de l’entente parfaite établie entre leurs cours et le nouveau cabinet. »


Parfois pourtant, de loin comme de près, les plus sagaces s’alarmaient de l’intensité du mal.


« Londres, le 4 août. — Notre entretien subséquent nous ayant amenés, monsieur le ministre, à examiner encore une fois l’état actuel des relations entre les deux gouvernemens, lord Aberdeen m’a dit qu’il avait dernièrement reçu communication confidentielle d’une dépêche dans laquelle M. le prince de Metternich prescrivait au baron de Neumann d’user de son influence auprès du cabinet britannique pour calmer l’irritation qui se manifestait en Angleterre contre la France. « Mais, m’a dit lord Aberdeen en riant, comme Metternich a dû le faire sentir à votre ambassadeur, ce n’est pas à Londres qu’il faudrait agir pour préparer des relations plus heureuses, c’est bien à Paris… Quant à nous, nous croyons avoir plus d’un légitime grief contre la conduite politique du gouvernement français, mais vous êtes vous-même témoin de tout le soin que nous apportons à ne trahir aucun ressentiment qui puisse réagir sur nos rapports avec la France. »

  1. Je n’ai pas à dire qu’au moment où ces lignes étaient tracées, j’ignorais le cruel malheur qui venait de frapper la famille royale et la France.