Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/445

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que moi témoigné, dès son origine, mon respect et ma confiance pour le gouvernement actuel de la France. Je l’ai soutenu dès le principe de tout mon pouvoir, en dépit des convictions et des antipathies d’un grand nombre de mes partisans. Je n’ai jamais cherché à entraver sa marche ou à augmenter ses difficultés ; mais jamais je n’avais pu prévoir que nos relations dussent en venir à la situation que je trouve aujourd’hui. Ne me rendez pas responsable d’un état de choses que je ne saurais me reprocher, et que je ne puis m’expliquer. »


Qui sondera les abîmes de la crédulité populaire ? A l’époque où ces entretiens avaient lieu, le roi Louis-Philippe et son gouvernement étaient sérieusement accusés de condescendance excessive pour l’Angleterre, et ces accusations étaient sincèrement crues, sincèrement propagées. L’un et l’autre n’en poursuivaient pas moins leur tâche avec fermeté et avec confiance. « Je n’ai guère réussi jusqu’à présent, m’écrivait M. Guizot le 16 août 1842, qu’à empêcher le mal : succès obscur et ingrat. Le moment viendra, je l’espère, où nous pourrons faire ensemble du bien. Je ferai de mon mieux pour hâter ce moment. » De leur côté, sir Robert Peel et lord Aberdeen surtout n’échappaient point à des imputations de complaisance extrême, elles ont été même assez accréditées pour nuire sérieusement plus tard à l’influence que ce dernier était appelé à exercer dans son pays. L’extrait suivant, que je cite entre mille, montrera du moins que cette impression de ses compatriotes n’avait pas grand cours à Paris :


« On parle beaucoup, m’écrivait M. Désages le 11 novembre 1842, les journaux ont déjà parlé d’une circulaire de lord Aberdeen relative au projet d’union franco-belge. Cette circulaire serait un appel aux trois cours, dites du Nord, contre l’ambition française et le dérangement que l’accomplissement du projet apporterait à l’équilibre, au statu quo européen[1]. — Comme ici il y a ajournement obligé à raison de l’état d’esprit de nos industriels, je ne pense pas que cette bombe, chargée par lord Aberdeen, éclate pour le moment ; mais nous avons depuis longtemps prévu la chose, et nous en avons pris notre parti. Seulement ce qui me peine, si ce que l’on dit de cette circulaire est vrai, c’est le ton de vieil Anglais qui y règne… Il y a place pour les Anglais et pour nous dans le monde en fait de commerce, de comptoirs coloniaux, et, au lieu de tirer chacun sans cesse de son côté, il serait aisé de s’expliquer, de s’entendre, sans quoi les soupçons (et Dieu sait si on nous les épargne à Londres !), les accidens de rencontre et les passions des subalternes pourront nous conduire les uns et les autres… Dieu seul sait où. »


J’ai dit que durant l’année 1842 aucun progrès sérieux n’avait été fait ou tenté vers des relations plus intimes avec lord Aberdeen.

  1. La nouvelle était vraie, et, si j’ai bonne mémoire, les cours du Nord répondirent à l’appel du ministre de l’Angleterre par une protestation immédiate contre le projet d’union franco-belge.