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celui-ci. Si nous ne le pouvions pas, j’ose croire que personne ne le pourrait. Pour mon compte, je ferai sans hésiter, et quoi qu’il m’en puisse arriver, ce qui me paraîtra juste et honorable ; mais, s’il devait y avoir au bout de tout ceci ou une faiblesse ou une folie, bien certainement je ne m’en chargerais pas. »


L’affaire cependant s’était envenimée ; le 29 août, j’écrivais à M. Guizot :


« Mon entretien avec lord Aberdeen sur les affaires du Maroc, et particulièrement sur les dernières opérations à Mogador, a été très grave et très long… Tout a été discuté et controversé entre nous, et je ne saurais mieux vous représenter le caractère général de notre entretien qu’en vous rapportant la confidence que lord Aberdeen m’a faite au moment où nous nous séparions. Nous en étions arrivés à Taïti et à l’anxiété qu’éprouve chacun sur la décision prochaine que vous m’annoncez à ce sujet. Lord Aberdeen m’a dit que lord Cowley lui avait rapporté quelques paroles de vous annonçant que, si votre dernier mot n’était pas jugé suffisant à Londres, vous n’accepteriez pas la situation qui s’ensuivrait en restant au pouvoir. « C’est donc bien la guerre que M. Guizot entrevoit, » m’a dit lord Aberdeen. J’ai dit qu’assurément, nos propositions rejetées, il ne resterait que cette formidable alternative ou des concessions que vous pourriez ne pas vouloir faire, et qui seraient sans doute aussi impossibles pour d’autres. « Alors, m’a dit lord Aberdeen, je n’aurais point à choisir : nous nous retirerions ensemble, et notre politique succomberait avec nous. »


Ces paroles du principal secrétaire d’état résumaient fidèlement l’esprit que les deux ministres avaient dès l’origine porté dans ce conflit involontaire. Ils étaient de part et d’autre décidés à obtenir tout ce que réclamerait l’honneur de leur pays et à refuser tout ce qu’il interdirait d’accorder sous l’inspiration du patriotisme le plus vif et le plus vrai. Ils étaient non moins déterminés à faire prévaloir leurs vues sages, modérées et conciliantes au prix de leur existence officielle. Le succès le plus complet couronna leurs constans efforts. Avertie par notre démonstration navale devant Tunis, la flotte ottomane ne quitta point les eaux de l’Archipel. De leur côté, le prince amiral et le maréchal Bugeaud, par la promptitude et la vigueur de leurs opérations, conduisaient à une fin glorieuse la guerre contre le Maroc. « J’étais sûr, m’avait écrit M. Guizot, que M. le prince de Joinville jugerait avec beaucoup de sagacité et agirait avec beaucoup de prudence, Je ne me suis pas trompé. » Le 31 juillet, je m’étais permis d’écrire au prince sur la gravité de la situation. Sa réponse montre à quel point les hautes convenances avaient été ménagées, tandis que le plus signalé triomphe était assuré aux armes et à la politique de la France.