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événemens qui surgissent de toutes parts et se conjurent contre votre œuvre. » M. Guizot me répondait le 3 août :


« Je reviens de la chambre des pairs. Je ne vous en dis rien. Vous verrez combien l’émotion est vive. J’ai maintenu mon droit de me taire, mes raisons de me taire, et n’ai voulu faire aucun usage de votre dépêche de ce matin ; mais j’ai été fort poussé par les plus gros comme par les plus petits de mes adversaires. Tenez pour certain qu’ici comme à Londres il faut mener cette affaire-ci doucement, et que, si elle continuait comme elle a commencé, elle nous mènerait nous-mêmes fort loin. »


Quelques jours plus tard, le 8 août, M. Guizot m’écrivait :


« Il n’y a vraiment pas moyen de traiter des affaires un peu délicates à cette condition qu’à peine commencées elles feront explosion, explosion tous les matins, explosion à Londres, explosion à Paris, mettant le feu à tout ce qui y touche. Vous n’avez pas d’idée de l’effet qu’ont produit ici les paroles de sir Robert Peel et de ce qu’elles ont ajouté de difficultés à une situation déjà bien difficile… Le fond de l’affaire a presque disparu devant un tel langage… De tout ceci il reste une impression bien vive, et qui aggrave beaucoup les embarras. »


Je répondis de Londres le 14 août :


« Tous les membres du cabinet, sauf lord Aberdeen, se sont prononcés pour une augmentation forte et immédiate des armemens maritimes de la Grande-Bretagne. Lui seul a soutenu que toute mesure semblable aggraverait considérablement la situation, et il a usé de toute son influence personnelle comme de toute l’autorité de sa position pour la faire écarter… »


Cependant la crise s’aggravait en se prolongeant. M. Guizot m’écrivit le 15 août :


« Je comprends et je partage votre sollicitude ; mais je ne saurais admettre qu’entre deux gouvernemens sensés et équitables l’un envers l’autre, un tel incident puisse amener la guerre… J’irai aussi loin que me le permettront la justice envers nos agens et notre dignité. Puis, s’il y a de l’humeur, j’attendrai qu’elle passe ; mais s’il y a un acte d’arrogance, ce n’est pas moi qui le subirai… »


Le 18 août, je recevais encore de M. Guizot la dépêche suivante :


«… J’ai demandé au roi un conseil pour les premiers jours de la semaine prochaine. Dès que le conseil aura délibéré, je répondrai. Je me félicite plus que je ne puis le dire que l’affaire soit remise aux mains de lord Aberdeen. Je compte pleinement sur son bon esprit, son bon vouloir et son courage contre l’effervescence extérieure. Nous avons entre lui et moi étouffé depuis trois ans bien des germes funestes. J’espère que nous étoufferons encore