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éloigne ou refroidit. Leurs offres de service, leurs témoignages de sympathie à l’égard des augustes exilés furent empressés, constans, prirent les formes les plus délicates et les plus touchantes. Je n’y eus recours qu’une fois, mais dans une circonstance qui m’a laissé un souvenir indélébile. La reine Victoria avait fait immédiatement proposer par mon entremise la résidence royale de Claremont au roi et à sa famille, qui avaient provisoirement agréé cette gracieuse attention. Quelques membres du cabinet en conçurent de l’inquiétude, et l’un d’eux me le témoigna. Je tins à connaître sur ce sujet le sentiment des chefs du parti conservateur. Jamais je n’oublierai avec quelle vivacité ils me l’exprimèrent, mais dans un sens tout oppose. D’après leur conseil, je vis le duc de Wellington, arbitre généralement consulté et accepté alors à Londres dans les questions difficiles. Je fus frappé de tout ce qu’il y avait de chaleur et d’élévation dans le cœur du vieux guerrier. Il discuta la position du roi et de la famille déchus, et la convenance toute particulière de leur établissement à Claremont, avec la justesse et la netteté d’appréciation qui lui étaient propres. Il se résuma ainsi : Mind the king does not leave Claremont unlil I tell you.

Cet avis, qui fut celui de tout le pays, prévalut en effet, et les inquiets ne tardèrent pas à se rassurer. Pourtant le sentiment public en Angleterre, si empressé pour le roi Louis-Philippe dans des jours plus heureux, ne lui fut guère fidèle au jour de l’adversité. À travers l’abîme des siècles écoulés, qui de nous n’a entendu ce cri : « mieux vaut être un pauvre pêcheur que de gouverner les hommes ! » Que de fois a-t-il été répété depuis par la vertu politique proscrite. Quel souverain étranger a jamais prodigué, comme le roi Louis-Philippe, sa royale hospitalité à tout ce qui appartenait à l’Angleterre ? Qui a conçu et témoigné pour elle une aussi vive sympathie ? Qui a fait autant d’efforts pour maintenir son alliance, souvent peu populaire ? Les princes n’ont guère à compter sur la reconnaissance des peuples dont ils assurent le bonheur ; qu’ils n’attendent pas davantage de ceux auxquels leur courage et leur sagesse ont épargné des maux incalculables !

La révolution de 1848 marqua le terme de mes relations suivies avec lord Aberdeen. Je n’eus dès lors que de rares occasions de le revoir. Il reprit la direction des affaires au mois de janvier 1853, dans les circonstances les plus honorables. Le ministère de lord Derby succombait faute d’un appui parlementaire suffisant. Qui présiderait à ses adversaires combinés ? Sous quelle autorité, respectée de tous, se fonderait enfin l’union des whigs et des peelites, attendue depuis longtemps par l’Angleterre, et qui la gouverne encore aujourd’hui ? Le choix de la reine Victoria, d’accord avec le sentiment