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appelée à l’improviste à devenir un gage de rapprochement entre deux mondes si divers de puissance, d’éclat et d’esprit. La petite princesse n’avait pas tout pris de la cour de Savoie ; elle en avait pris une certaine originalité native, la grâce qu’elle tenait de la famille de sa mère et un peu aussi de la ruse de son père, tout ce qui charma au premier instant, lorsqu’elle montait les degrés de l’escalier de Fontainebleau, conduite par Louis XIV, et ce qui faisait dire à Mme de Maintenon elle-même, chargée désormais de faire son éducation : « Cette Italienne est vraiment fort jolie. »

Les jeux de la politique, on l’avouera, en faisant de la duchesse de Bourgogne l’élève de Mme de Maintenon, ne pouvaient combiner un spectacle plus curieux et mettre en présence deux figures plus différentes. Tout était mouvement, pétulance et action chez l’une, fille d’une race originale et hardie. L’autre, la dame aux coiffes noires, selon le nom qui lui est resté, était la reine équivoque d’une cour figée dans l’étiquette, l’image grise et terne d’une époque vieillie. De quelque façon qu’on juge Mme de Maintenon, qu’on la représente sensée, judicieuse, reine par la grâce d’une raison aimable et enjouée, elle garde toujours ce maussade reflet qui s’attache à une liaison de vieillards, cette liaison prît-elle une couleur de vertu et de religion, — à une fortune de ce genre, conquise non par la passion, mais par l’habileté et le calcul, cette fortune fût-elle présentée comme un sacrifice et un martyre. Mme de Maintenon a pu avoir le mérite de préserver la vieillesse de Louis XIV des amours déshonorans ; elle rétrécit son règne. C’est peut-être la raison, mais la raison stérile et sans élan. Nul ne l’a mieux peinte que Mme Du Deffand, qui a dit d’elle : « Ses lettres sont réfléchies, mais elles ne sont point animées… On voit qu’elle n’aimait ni le roi, ni ses amis, ni ses parens, ni même sa place ; sans sentiment, sans imagination, elle ne se fait point d’illusions, elle connaît la valeur intrinsèque de toutes choses… Il me reste de cette lecture beaucoup d’opinion de son esprit, peu d’estime de son cœur et nul goût pour sa personne… » Mme de Maintenon, à la cour de Louis XIV, ressemble un, peu à une gouvernante : elle a le goût de régenter, de diriger ; elle fait sa merveille de Saint-Cyr, et sous ce rapport elle est du moins dans son rôle avec la duchesse de Bourgogne. Elle commence par lui créer une maison, et elle l’entoure naturellement de tout ce qu’elle peut trouver de plus dévoué à sa propre fortune, la duchesse du Lude, Mme de Montgon, Mme d’O, Mme de Nogaret, sans compter Mmes de Montchevreuil et d’Heudicourt, celles que la spirituelle princesse appelait les dames sérieuses. Le précepteur est Dangeau, que Saint-Simon peint comme « chamarré de ridicules. » — « Il est bizarre de vouloir faire de vous un précepteur, lui écrit Mme de Maintenon ;