Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/480

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mais vous êtes capable de tout pour le bien, et vous en pouvez plus faire à la princesse que tous les maîtres du monde… Je crois qu’il faudrait lui faire tous les jours deux leçons, l’une de la fable, et l’autre de l’histoire romaine. Vous savez mieux que moi qu’il ne faut pas songer à la faire savante, on n’y réussirait pas ; il faut se borner à lui apprendre certaines choses qui entrent continuellement dans le commerce des plaisirs et de la conversation. »

Je ne sais si la petite duchesse apprenait la fable ou l’histoire romaine ; elle faisait mieux, elle se laissait aller à son naturel, et si elle négligeait fort les leçons de Mme de Maintenon, elle la séduisait, elle la flattait, elle s’asseyait sur ses genoux et l’embrassait malgré elle en lui disant qu’elle n’était point si vieille. Elle agissait de même avec Louis XIV, dont elle amusait la vieillesse morose, se jetant à travers l’étiquette, se permettant tout et mettant à tout une grâce aimable ou un tour piquant, soit qu’elle accueillit Bossuet, qui lui prêtait serment à genoux le jour de son mariage, en lui disant : « Ah ! je suis honteuse d’avoir à mes pieds une si bonne tête ! » soit que, peu touchée de la trop longue harangue du président de la grand’chambre, elle lui répondît : « Monsieur, ce que vous me dites est sans doute fort beau ; mais heureusement on ne se marie pas tous les jours. » Ce jour du mariage, le 7 décembre 1697, ne fut encore qu’une demi-émancipation. Le soir, toutes les cérémonies du coucher accomplies, les deux jeunes époux furent séparés ; la petite princesse n’y voulait pas trop entendre, et en pleura. « Eh quoi ! ne suis-je pas sa femme ? » disait-elle plaisamment. L’émancipation ne fut complète qu’en 1699, par la réunion définitive du prince et de la princesse. Alors commence un nouveau personnage, la vraie duchesse de Bourgogne, vive, parlante, agissante, libre même à la cour et se sentant croître, comme elle le disait, ne cessant pas d’être la « mignonne » de Mme de Maintenon, mais lui échappant à chaque instant, et devenue surtout la joie, l’amusement de Louis XIV, qui ne pouvait plus se séparer d’elle, qui voulait l’avoir partout à ses côtés, aimant à reposer son regard sur ce frais visage. Alors aussi commence une vie nouvelle d’enchantemens et de fêtes dont elle est la gaieté et la lumière. Qu’on se représente cette aimable personne dans ces premiers jours d’épanouissement et de liberté : elle éclaire tout-autour d’elle.


« Ma princesse prend tous les jours des grâces nouvelles (dit la demoiselle d’honneur, qui n’a eu qu’à recueillir les souvenirs du temps) ; elle embellit à vue d’œil. Quand nous sommes arrivés ici, elle était petite et délicate ; elle a beaucoup grandi sans perdre son embonpoint ; son teint est maintenant blanc, incarnat, comme on peut le désirer ; son cou, si beau et si rond, s’est élancé. Jamais on ne vit de taille si fine ni si noble, et rien de si gracieux