Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/488

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elle dans le présent, et tout lui souriait dans l’avenir. C’était pourtant le moment où elle touchait à une suite de catastrophes qui, après l’avoir rapprochée à l’improviste du trône, l’enlevaient elle-même brusquement à la puissance et à la vie. Rien n’est plus saisissant et plus lugubre que ces années où, tandis que la guerre est partout allumée aux frontières, la mort entre en maîtresse dans ce règne et frappe à coups redoublés, comme pour achever la ruine. Les catastrophes royales commencèrent en 1711 par la mort du dauphin, gros homme de cinquante ans, apathique et vulgaire. Qui ne se souvient de cette scène si étrangement puissante où Saint-Simon peint tout ce mouvement qui suit la mort du premier dauphin, les plaintes intéressées, les ambitions éveillées ou déçues, les cabales s’agitant, les valets cherchant des nouvelles, les courtisans se pressant dans les galeries de Versailles, les uns « tirant des soupirs de leurs talons, » d’autres composant leur visage, les plus avisés allant saluer dans les nouveaux dauphins, le duc et la duchesse de Bourgogne, le soleil levant, « la première pointe de l’aurore, » puis tout à coup Madame paraissant en habits de deuil, « hurlante de douleur, » sans savoir pourquoi, parce que sans doute elle pensait qu’il le fallait, et enfin le bon gros suisse cuvant son vin sans se réveiller au milieu de cette cohue dorée, agitée et flottante ? Tout n’était point malheur. Le grand dauphin ne promettait qu’un règne vulgaire, où Mlle Choin eût remplacé Mme de Maintenon. Par sa mort, le duc et la duchesse de Bourgogne montaient d’un degré vers le trône et devenaient les héritiers de Louis XIV. La petite princesse de Savoie s’élevait au rang de dauphine de France, et elle entrait de bon cœur dans ce rôle nouveau, heureuse dans sa jeunesse et sa grandeur. Une année n’était point encore passée cependant que déjà la mort avait soufflé sur ce rêve en enlevant subitement et la jeune dauphine et le nouveau dauphin lui-même.

C’est au mois de janvier 1712 que la duchesse de Bourgogne ressentit les premières atteintes d’une indisposition qui n’avait d’abord que l’apparence légère d’une fluxion. Elle avait accompagné le roi à Marly, et comme avec le roi il fallait toujours marcher et faire figure, elle ne cessait point de se lever pour tenir le salon et le jeu. Peu à peu ce qui n’était qu’une indisposition s’aggravait, la souffrance devenait plus intense, les symptômes d’un mal inconnu apparaissaient, et bientôt, le 11 février, le danger était assez grand pour qu’on parlât des derniers sacremens. Alors se passait une scène qui laissait peut-être pressentir quelques-uns de ces petits mystères de la vie de la jeune dauphine qu’on avait réussi à cacher au roi. Louis XIV, avec cette naïveté d’autocratie qui était l’essence de sa nature, allait jusqu’à choisir les confesseurs des princes. Il avait