Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/494

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une simple conjecture. L’expérience a prouvé que, partout où cessait la traite, le travail et le commerce succédaient à cet infime trafic. Nous devons donc nous féliciter, malgré la satisfaction que l’Angleterre en éprouve, de voir la France rompre entièrement avec tout ce qui, de près ou de loin, peut ressembler à la traite. Ce n’est pas nous qui nous plaindrons, tant que notre gouvernement ne fera à l’Angleterre que des concessions de ce genre, concessions qui profitent à l’humanité et par conséquent nous honorent. Un esprit éclairé, animé d’un libéralisme et d’une philanthropie sincères, M. Augustin Cochin, vient de publier sur le côté historique de cette question de l’abolition de l’esclavage deux volumes où la matière est épuisée avec un véritable talent. La crise américaine donne un intérêt particulier d’opportunité à ce généreux ouvrage, auquel l’abandon par la France du système des engagemens volontaires de la côte d’Afrique fournira naturellement, pour une édition prochaine, un dernier chapitre.

Un de ces maux qui tiennent inévitablement à notre état économique et social se manifeste en ce moment sur divers points de l’Europe, et même de la France, par des symptômes auxquels il importe de prendre garde. Le débat des salaires entre les patrons et les ouvriers provoque des grèves en Belgique, en Angleterre, dans plusieurs de nos villes. C’est un terrible problème que celui de la compétition du capital et de la main-d’œuvre. Tout conflit entre ces deux agens de la production annonce un malaise réel, suscite des maux immédiats et crée un péril. Il est possible, au milieu de ces débats, que quelquefois les ouvriers aient tort dans leurs exigences, se méprennent sur leur intérêt véritable, et il faut convenir qu’il est rare que le résultat ait donné raison au système des grèves. Ce mal, à notre avis, ne comporte point de remède absolu : on ne s’en débarrasse point par une légalité rigoureusement répressive, et la science économique est impuissante à le prévenir par l’organisation d’un système infaillible de relations entre le capital et la main-d’œuvre. Il y a là une maladie, une sorte de fièvre d’accès inhérente à la forme économique de la condition humaine, et dont les sociétés ne peuvent pas plus être radicalement délivrées que l’homme physique ne peut être affranchi de la souffrance et de la mort. Il faut être bien pénétré de cette vérité avant d’aborder l’examen particulier des luttes qui s’engagent entre le capital et le travail, car, une fois édifié sur ce point, on ne cherchera ni d’un côté ni de l’autre le remède dans les moyens violens et arbitraires. Du côté du capital, on ne demandera pas le salut à une législation cruelle et contraire à la liberté ; du côté du travail, on ne placera pas l’espoir d’un triomphe prochain et final dans le mirage d’une organisation artificielle de la société. L’on abordera chaque problème particulier à mesure qu’il se présentera, en recherchant de bonne foi les palliatifs qu’il comporte, et avec l’attention scrupuleuse, la sympathie sincère qui sont dues à la condition matérielle et morale des classes populaires. Si d’ailleurs l’économie politique n’a point de solution absolue sur les relations du travail et du capital, il s’en faut qu’elle soit dans l’impuissance complète de