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retour en Italie, il chanta successivement à Venise, à Milan, dans un opéra de son compositeur favori, Niccolini. En 1824, il créait à Venise un rôle dans il Crociato de Meyerbeer. En 1825, Velluti traversa Paris pour se rendre à Londres, où il est resté deux ans. Il fit un second voyage en Angleterre en, 1829, et depuis lors, je crois, il n’a plus paru sur aucun théâtre. Il vivait retiré, dans une petite propriété qu’il avait dans les environs de Padoue, avec un frère et un neveu, jouissant d’une modeste aisance qu’il avait chèrement achetée.

Velluti était grand, d’une taille mince et élancée. Sa voix était un véritable soprano d’une grande douceur, et qu’il dirigeait avec beaucoup d’habileté ; mais il ne pouvait pas parcourir une gamme entière, soit ascendante, soit descendante, dit Stendhal dans sa Vie de Rossini, et ce fait m’a été confirmé par le grand maestro. Velluti était un chanteur un peu froid, au style brillant, mais tempéré, qui ne possédait ni l’éclat de vocalisation qui distinguait Marchesi, ni l’accent pathétique de Pacchiarotti, ni l’élégance soutenue de Crescentini. Un amateur anglais fort distingué, le comte Edgecumbe, qui a entendu Velluti à Londres en 1825, a apprécié avec beaucoup de justesse le talent de ce virtuose. « Je vais parler maintenant, dit-il dans un volume curieux où il a consigné ses souvenirs[1], de l’arrivée d’un soprano, le seul qui existe encore en Europe. Il vint à Londres avec de fortes recommandations, mais sans que le directeur du théâtre osât l’engager. Il se passa même quelque temps avant que Velluti eût le courage de paraître en public, car la génération qui avait admiré Pacchiarotti et Marchesi avait complètement disparu. Depuis la fin du XVIIIe siècle, aucun sopraniste n’avait paru en Angleterre, et il existait parmi nous un grand préjugé contre de pareils chanteurs. Aussi, la première fois que Velluti se fit entendre dans un concert, il excita une sorte de surprise qui n’avait rien de commun avec l’admiration. On fut même obligé de prendre certaines précautions de police le jour où Velluti débuta dans il Crociato de Meyerbeer. La salle était comble, et d’abord le public garda un profond silence. Ceux des spectateurs qui n’avaient jamais entendu ce genre de voix éprouvèrent d’abord une surprise qui allait jusqu’au dégoût. Peu à peu cependant le virtuose se fit écouter et vivement applaudir. « Velluti n’est plus jeune, dit le comte Edgecumbe, et sa voix, qui a été fort étendue, est aujourd’hui très altérée. C’est le corps de la voix qui a le plus souffert, tandis que les notes supérieures ont encore une douceur ravissante. Velluti possède aussi de belles cordes dans le registre inférieur dont il tire de beaux effets. Son style est gracieux, mais sans élévation, et ne rappelle pas la manière large de l’ancienne école. Il chante avec goût, mais non pas sans un peu de monotonie. »

C’est un phénomène curieux que l’apparition des sopranistes dans l’opéra italien au commencement du XVIIIe siècle. On ne sait trop à quelle époque remonte l’usage monstrueux de mutiler la nature humaine pour obtenir un genre de voix factice qui pût remplacer la voix de femme ; mais tout porte à croire que c’est à l’église qu’on doit l’invention de ce sacrilège. Les femmes n’étant pas admises à chanter dans la chapelle papale, on eut d’abord l’idée de les remplacer par des enfans ; mais comme les enfans ne peuvent conserver

  1. Musical Reminiscences of an old amateur, Londres 1827.