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costume moitié monastique et moitié impérial, traînant l’empereur à sa suite, et fonder au loin des basiliques dont elle dessinait elle-même les plans. Aussi la chaire épiscopale ne trouvait-elle pas de louanges assez retentissantes pour remercier « cette mère des églises, cette nourricière des moines, cette protectrice des saints, ce bâton des pauvres. » Eudoxie était la lumière de l’empire, l’eunuque en était l’ombre et la nuit.

Ainsi s’amoncelait, au fond du gynécée impérial et dans les retraites du sanctuaire de Sainte-Sophie, un double orage qu’Eutrope dédaigna ou ne vit pas. La foudre était bien près d’éclater lorsque l’imprudent ministre, dans l’infatuation de ses succès, jeta un dernier défi à l’opinion du monde en se faisant conférer par son maître le titre de patrice avec celui de consul.

II.

Le consulat d’Eutrope causa dans le monde romain une émotion à laquelle l’eunuque ne s’était pas attendu, parce qu’il ne connaissait pas bien l’Occident. En Orient, on fut offensé de cet orgueil excessif de l’esclave aspirant à une dignité voisine du trône, et l’on se demanda si quelque jour l’étrange consul n’aurait pas la fantaisie de se faire empereur. Quant au titre de patrice, il fut accueilli par des railleries qui retombaient directement sur le prince. « Il a bien fait, disait-on, de se choisir un tel père. » Ainsi se produisait devant les entreprises ambitieuses d’Eutrope le sentiment des Romains d’Orient. En Occident, en Italie surtout, où le consulat n’était pas seulement le premier des honneurs, mais une institution sacrée, liée aux grandeurs de la vieille Rome et pour ainsi dire sa représentation historique et l’âme de son passé, l’étonnement fut plus grand et l’indignation plus profonde. D’abord on ne crut pas à la nouvelle, arrivée de Constantinople par des bruits vagues en octobre ou novembre 398, qu’Eutrope venait d’être désigné consul ; on la repoussa comme une fable. « Autant vaudrait, se disaient les Romains, nous annoncer un cygne noir ou un corbeau blanc. » Quand la fable se fut trouvée vraie, qu’aucun recours ne resta plus au doute, la colère éclata de toutes parts en manifestations bruyantes : chacun se sentit blessé dans sa croyance, dans ses préjugés, dans sa dignité de citoyen, dans l’honneur même de sa maison.

Le consulat avait à Rome un caractère religieux, dérivé des institutions païennes, et dont la trace subsistait dans beaucoup d’esprits, malgré l’affaiblissement de l’ancien culte et les progrès croissans du nouveau. Ce caractère religieux reprenait sa force sous le coup de graves inquiétudes publiques ou de grands désastres : il reparut