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que c’étaient les injustices, les prodigalités, les débauches des puissans et des magistrats qui avaient allumé la colère de Dieu, retenue seulement par les prières des pauvres. Eutrope lui-même, comme si les allusions ne lui eussent pas suffi, donna à Chrysostome le signal des attaques directes en complétant, par un nouveau décret, les mesures restrictives de l’immunité des asiles.

Nous avons déjà parlé[1] du droit d’asile ecclésiastique et de ses abus, qui créaient, sous la main des évêques et des abbés des monastères, un droit à l’impunité en faveur des condamnés fugitifs. Il fallait que ces abus fussent bien crians, puisque Théodose lui-même avait cru devoir y porter remède. Des décrets, comme on l’a vu, limitatifs de l’immunité d’asile, avaient donc été rendus antérieurement au règne d’Arcadius, et l’avaient été dans une sage mesure : Eutrope gâta tout en choisissant, pour renouveler et étendre les anciennes prescriptions, une circonstance où la question de droit n’était évidemment que le prétexte, et la satisfaction d’une vengeance personnelle le véritable but. Aussi Nectaire avait-il eu pour lui la faveur générale lorsqu’il avait adressé à l’empereur des représentations qui par malheur n’avaient point été écoutées. L’affaire en était là lorsque Chrysostome vit paraître, sous la date du 27 juillet, plusieurs lois nouvelles qui complétaient et aggravaient en divers points les actes précédens. De Nectaire à Chrysostome, la différence était grande : celui-ci prit feu avec l’animosité d’un tribun, et l’évêque se déclara hautement l’ennemi du ministre.

Cependant le parti des mécontens, attentif à ce qui se passait, vit avec joie ses rangs s’accroître d’un auxiliaire aussi opiniâtre que puissant. L’impératrice, avec cette intuition des femmes qui ne les trompe jamais quand leur intérêt ou leur vanité est enjeu, avait pressenti, dès les premiers momens, l’antagonisme qui éclatait, et non moins habilement elle s’était mise en mesure d’en profiter. L’évêque ne la recherchant point et évitant la cour, elle était allée vers lui, et s’était jetée avec une apparente passion dans tout ce qui pouvait lui complaire et l’attirer. Son chambellan particulier, l’eunuque Amantius, homme d’une grande droiture de cœur et d’une sincère piété, devint son intermédiaire près du prélat et le canal des libéralités dont elle se mit à combler sans mesure les églises et les pauvres. Cette liaison de l’impératrice avec Chrysostome s’établit, comme on le pense bien, aux dépens d’Eutrope. Pour donner des gages de sa bonne foi à ce nouvel et ombrageux allié, on vit l’altière Eudoxie afficher, malgré ses goûts mondains, les pratiques d’une dévotion excessive, suivre les reliques pieds nus, dans un

  1. Revue du 1er mars 1861.