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romain avait été injuste pour eux. Qu’exigeaient-ils ? La destitution du ministre qui les avait offensés : à ce prix, la paix était faite. Eutrope était-il donc si nécessaire à la prospérité publique, que le prince et l’empire dussent se sacrifier pour lui de gaieté de cœur ? » Telle était la conclusion de toutes les lettres de Gainas, qui, devenant de plus en plus positif, déclara qu’il répondait à peine de son armée, s’il n’était pas donné satisfaction aux demandes des Gruthonges.

A Constantinople, comme on le pense bien, les ennemis d’Eutrope ne s’endormaient pas et agissaient de leur côté sur Arcadius ; mais le ministre tenait bon. Deux événemens nouveaux amenèrent pourtant quelque incertitude dans l’esprit du prince en augmentant ses terreurs. La Perse avait eu jusqu’alors pour roi Vararane, quatrième du nom, ami de Théodose et constant allié de l’empire ; il venait d’être tué par une faction opposée aux Romains, et le premier acte de son successeur Isdégerd, chef de cette faction, avait été d’envoyer des troupes d’expédition sur la frontière de Syrie. Le bruit s’accrédita presque au même instant que Stilicon, prenant pour motif ou pour prétexte les réclamations de plusieurs provinces d’Orient, qui imploraient son assistance armée contre le mauvais gouvernement d’Eutrope, faisait des préparatifs sérieux, autorisés par le sénat de Rome. Le fait était vrai, et, d’après les révélations du poète son confident, Stilicon ne projetait pas moins que la réunion des deux empires et des deux princes sous sa double régence. Cette dernière menace jeta plus d’épouvante que tout le reste dans l’âme d’Arcadius : il se demanda si, après tout, Eutrope lui était tellement précieux qu’il dût braver, à cause de lui, le danger de tomber en tutelle sous l’homme qu’il haïssait le plus au monde.

Ce fut le ministre lui-même qui, par un acte d’impudence inouie, mit fin aux hésitations de son jeune maître. Ces oppositions, qui éclataient de toutes parts et tout à la fois autour de lui, l’envahissant comme une mer montante, le mettaient dans une rage qu’il ne savait plus dissimuler : cet homme d’ordinaire si cauteleux ne se possédait plus. Il s’en prit à l’impératrice, dont il avait découvert les menées, et un jour il s’emporta jusqu’à lui dire : « Prenez-garde à vous ! la main qui vous a amenée dans ce palais est encore assez forte pour vous en chasser… » L’impératrice, à ce mot, se redressa de toute sa fierté barbare ; elle écarta d’un geste l’eunuque, et, passant dans l’appartement où se trouvaient ses deux filles, Flaccile, âgée de trois ans, et Pulchérie, qui avait à peine cinq mois, elle les prit dans ses bras et s’achemina à grands pas vers le cabinet de son mari. L’indignation l’étouffait ; ses larmes coulaient en abondance, au milieu des sanglots. Émus de l’agitation de leur mère, les enfans y répondirent par des cris perçans qui retentissaient au loin sous les