Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/545

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dats, l’épée nue, mais n’osant pénétrer plus avant, appelaient l’évêque à grands cris. Chrysostome alarmé prit Eutrope par la main, et le conduisit dans la sacristie, où il le cacha parmi les vases sacrés, puis il revint à grands pas s’opposer à la profanation du sanctuaire. « Évêque, lui criaient les soldats furieux, Eutrope est caché ici ; livre-le-nous ; nous avons ordre de le saisir. — Cet asile est sacré, répondait Chrysostome, nul n’y pénétrera que sur mon corps. L’église est l’épouse de Jésus-Christ, qui m’a confié son honneur ; je ne le trahirai jamais. » Ils firent mine de porter la main sur lui ; mais, sans s’effrayer, il présenta sa poitrine aux coups : « Menez-moi à l’empereur, répétait-il, nous nous expliquerons en sa présence. » De guerre lasse, les chefs de la troupe consentirent à ce qu’il proposait, et Chrysostome, placé entre deux haies de lances et d’épées, s’achemina vers le palais, comme un prisonnier. À l’heure où cette scène avait lieu dans l’église, sur les marches du sanctuaire, il s’en passait une autre bien différente dans le grand amphithéâtre si fréquenté jadis par Eutrope, et où se donnait ce jour là une représentation extraordinaire. À peine la nouvelle des derniers événemens fut-elle connue des spectateurs, que l’assistance tout entière se leva en demandant la tête du ministre.

III.

L’apparition de cet évêque emmené par des soldats à travers les rues ne causa, soit dans la ville, soit au palais, guère moins d’émotion que l’événement même du matin. L’audience impériale ne se fit point attendre, et les explications commencèrent entre Chrysostome et l’empereur. L’évêque développa la thèse qu’il avait déjà soutenue contre Eutrope à propos du dernier décret sur l’immunité ecclésiastique, à savoir que l’enceinte de l’église protégeait, par un droit dérivant de son caractère sacré, quiconque y cherchait un refuge, soit juif, soit païen, soit chrétien, condamné par la justice des hommes. Et quand l’empereur objectait qu’une loi rendue par lui-même avait excepté du privilège d’asile les criminels de lèse-majesté, et qu’aucun n’était plus coupable assurément que celui qui avait osé insulter la nobilissime impératrice celui dont les crimes ou la mauvaise administration avaient compromis la sûreté de l’empire : — « Les lois humaines, répondait l’évêque, ne sauraient prévaloir contre la loi divine. » Eutrope n’en fournissait-il pas une preuve éclatante, lui qui, après avoir attenté aux droits du sanctuaire par cet acte dont la responsabilité pesait sur sa tête, était forcé de les proclamer aujourd’hui en venant se placer sous leur ombre ? Dieu, qui l’avait frappé pour ce crime, mettait dans son châtiment un avertissement salutaire pour ceux qui oseraient l’imiter. » Ces choses