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elle y fut, comme partout, hardie, impérieuse, impatiente de sages conseils : Arcadius n’avait fait que changer de tyran.

Ce n’était pas pour un pareil dénoûment que Gainas avait renversé deux ministres, tué l’un et amené en grande partie la chute de l’autre : aussi prit-il une attitude dédaigneuse, mais toujours hostile, en face de ce gouvernement féminin. Sitôt après la mort d’Eutrope, il conclut la paix avec Tribigilde, en son propre nom, comme de puissance à puissance, et leurs deux armées se réunirent, ou plutôt Tribigilde devint le lieutenant de son parent Gaïnas, généralissime des Goths auxiliaires ou fédérés en commune révolte contre l’empereur. L’Asie était à leur discrétion ; ils achevèrent de l’épuiser par des contributions publiques et par le pillage. Gaïnas avait dû s’attendre à une attaque de la part des troupes romaines qui se trouvaient encore en Europe ; ne voyant rien venir, il prit l’offensive et envoya Tribigilde sur l’Hellespont menacer Constantinople à revers, tandis qu’il la tenait en échec du haut des rochers de Chalcédoine. Dans cette situation, il ouvrit des négociations avec l’empereur. Sa prétention affichée tout d’abord fut de traiter directement avec le prince, de n’avoir affaire qu’au prince, « les intérêts d’un homme tel que lui, disait-il sans doute dans son langage insolent, ne devant point être discutés devant un conseil de femmes ou par des ministres soumis à l’influence d’une femme. » Et afin de bien montrer que sa volonté en ce point était immuable. Gaïnas exigea qu’on lui livrât les trois plus intimes conseillers de l’empereur, le préfet du prétoire Aurélien, Saturninus, mari de Gastricia, et le comte Jean, intendant des largesses, pour en faire ce qu’il lui plairait. Ces choix, surtout celui du comte Jean, dénotaient un dessein arrêté d’attaquer personnellement l’impératrice. À cette demande sans raison, le palais fut dans le plus grand trouble. L’impératrice, blessée dans son honneur ou dans son affection, dut combattre avec un redoublement d’énergie la lâche idée de céder à de si cruelles fantaisies ; Arcadius pourtant balançait, quand ces trois hommes, pour éviter à l’empire et à l’empereur la dernière des hontes, et s’inspirant de leur nom de Romain, prirent un parti digne des vieux temps de la république. Traversant le Bosphore sur une barque, à l’insu de tout le monde, ils débarquèrent sur la côte, à quelques milles de Chalcédoine, et envoyèrent prévenir Gaïnas qu’ils se remettaient eux-mêmes en son pouvoir. Le Barbare les fit amener chargés de chaînes, sous sa tente, où il les reçut en présence du bourreau. Tout ce qu’on peut endurer de tortures morales, d’insultes, de menaces, ces trois hommes l’éprouvèrent ; Gaïnas leur fit savourer à plaisir l’avant-goût de la mort, puis il ordonna à l’exécuteur de les frapper. Celui-ci s’avança vers eux le glaive nu et la fureur dans les yeux ; puis se radoucissant tout à coup, il se con-