Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/578

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fut pas atteint. Rien ne l’interrompit ; il coulait pur et profond ainsi qu’un beau fleuve limpide, et peut-être durerait-il encore, comme il a duré pendant dix ans, s’il n’avait été arrêté dans sa course par une effroyable catastrophe. Célestrie tomba malade ; son indisposition, qui dans le principe paraissait n’avoir aucune gravité, prit tout à coup un caractère inquiétant. J’obtins aussitôt l’autorisation de me faire remplacer au collège, et je soignai jour et nuit la chère créature à qui je devais toutes les joies de mon existence. J’appelai à mon aide les médecins les plus renommés ; nulle dépense, nulle fatigue ne m’arrêtèrent ; mais hélas ! ce fut en vain, la mort l’avait touchée déjà, et l’implacable déesse allait me la ravir. Chaque jour, chaque heure l’affaiblissait, et la nuit, pendant que je la veillais à la pâle lueur d’une lampe à demi baissée, je suivais avec épouvante les ravages que le mal creusait sur sa pauvre figure. Je voyais s’agrandir ces yeux si doux qui m’avaient regardé avec indulgence et qui ne s’étaient point fermés devant ma laideur ; je voyais se contracter et se déformer cette bouche charmante d’où était sorti ce oui tant attendu qui m’avait fait son époux. Ses mains amaigries, déjà revêtues de blancheurs transparentes, erraient machinalement comme à la recherche de choses indécises. Le bleu des veines marbrait ses tempes, auxquelles maintenant la chevelure semblait trop lourde. Ah ! quels instans ! quel silence, interrompu çà et là par quelques plaintes de la mourante, et où j’entendais seulement les battemens de mon cœur et le balancement régulier de la pendule !

Célestrie sentait bien que ses heures étaient comptées, et courageusement elle surmontait ses souffrances pour apaiser ma douleur. À sa voix, j’éclatais en larmes, je laissais tomber ma tête sur son lit, je criais : « Ne meurs pas ! ne meurs pas !… » La pauvre femme essayait de se soulever ; ses mains froides passaient sur mon visage comme une caresse de neige : « Du courage ! me disait-elle, ne pleure pas, garde mon souvenir… » Puis sa raison paraissait l’abandonner tout à coup, et elle parlait de grands oiseaux qui lui frappaient le front en volant auprès d’elle. L’accès aigu passait ; elle retrouvait sa sérénité résignée, elle me prenait la main, et s’endormait ainsi pendant que je ne la quittais pas des yeux. Une fois elle se réveilla, c’était vers les heures suprêmes qui précèdent la dernière : « Floréal, me dit-elle, promets-moi, quand tout sera fini, de laisser mon collier d’ambre à mon cou et d’empêcher Henriette de venir me le voler dans ma tombe. » Je jurai. « Mais tu ne mourras pas ! m’écriai-je. — Tais-toi, reprit-elle, pense à ta promesse ; ne parle pas, laisse-moi, le calme vient, mon âme est en repos, et je ne souffre déjà plus ! »

Elle mourut !… Ce qui se passa alors, je ne pourrais le dire. Des