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peut-être des milliers de siècles à s’accomplir. C’est que le temps appartient à la terre : elle renouvelle chaque année, sans se hâter, sa parure de feuilles et de fleurs ; de même elle rajeunit pendant le cours des âges ses mers et ses continens, et les promène lentement à sa surface suivant des lois qui nous sont encore inconnues, mais que nous commençons à entrevoir. Grâce à des études profondes comme celles de M. de Baer sur la Caspienne, nous pouvons espérer un jour de voir se dérouler devant nous l’ancienne histoire de la terre, non pas dans ses coups de théâtre gigantesques et ses bouleversemens terribles, mais dans sa vie de chaque jour et pour ainsi dire dans l’intimité même de ses lentes évolutions géologiques. Nous apprendrons comment le plus simple phénomène exerce son influence dans la distribution des continens et des mers, comment le moindre grain de sable accomplit sa petite œuvre dans la grande œuvre du globe. Toutes les manifestations de cette force vivante qui pénètre la terre auront un sens pour nous, et la statue si longtemps voilée de la grande Isis nous apparaîtra dans sa divine beauté !


I.

Il y a peu de siècles encore, la Caspienne appartenait plus au domaine de la fable qu’à celui de la géographie. On sait que presque tous les anciens, le grand Strabon lui-même, prenaient la mer d’Hyrcanie pour un appendice de l’Océan-Boréal, de la Mer-Noire, ou pour un prolongement du Golfe-Persique. Seuls, Hérodote, Aristote, Diodore, Ptolémée y voyaient une mer intérieure ; mais Aristote ne pouvait en expliquer l’isolement que par l’hypothèse de canaux souterrains qui déversaient le trop-plein des eaux dans la Mer-Noire. En plein XVIIe siècle, le géographe et voyageur hollandais Jean Struys adoptait encore cette idée et dessinait au centre de la Mer-Caspienne un tourbillon dans lequel devaient se perdre les eaux pour se rendre à l’Océan par des gouffres secrets. L’antique mer d’Hyrcanie fut enfin enlevée à la fable lorsque Pierre le Grand eut présenté à l’Académie des sciences de Paris la carte dressée de 1710 à 1720 par le capitaine hollandais van Verden. Puis Vinrent Pallas, Gmelin, Eichwald et d’autres savans voyageurs : Kolotkin, Karelin publièrent leurs beaux atlas ; Humboldt écrivit son livre si important de l’Asie centrale. Maintenant le gouvernement russe fait lever des cartes qui pourront servir de base certaine à toutes les recherches ; en même temps on sonde la profondeur des eaux, on en constate la salure, et sur les rochers des bords on trace des marques qui raconteront aux savans toutes les oscillations du niveau.

Le fait le plus étonnant révélé par les explorateurs scientifiques